Journée internationale des droits de la Femme : « cassons ce plafond de verre » qui nuit aux carrières féminines à l’Université
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Journée internationale des droits de la Femme : « cassons ce plafond de verre » qui nuit aux carrières féminines à l’Université

France Universités : date de publication

    Dans cette interview à la fois personnelle et riche en enseignements, Virginie Dupont, présidente de l’Université Bretagne Sud (UBS) et vice-présidente de France Universités dresse un état des lieux de l’accès encore trop faible des femmes aux postes à responsabilités dans l’Enseignement supérieur. A l’image de la société, l’Université n’est pas épargnée par ce fameux plafond de verre, fruit de stéréotypes de genre ancrés, et d’auto-censure. Beaucoup de progrès ont été faits ces dernières années grâce à une politique volontariste des pouvoirs publics. Mais il nous faut aller plus loin. Virginie Dupont revient sur son parcours, sur les obstacles rencontrés et surmontés.  Elle met en avant les actions concrètes qui pourraient être mises en œuvre facilement pour viser l’égalité de participation aux prises de décision, condition de « justice et de démocratie ».

    France Universités : Quelle forme prend le plafond de verre dans les carrières scientifiques féminines ?

    Virginie Dupont : Le monde académique n’échappe malheureusement pas au phénomène du « plafond de verre » qui entraîne une disparition progressive des femmes au fur et à mesure de la progression de la carrière.

    En 2020, 40 % des enseignants-chercheurs sont des femmes, contre 60 % d’hommes. En 2019, c’était 38 % de femmes, contre 62 % d’hommes. Par ailleurs elles ne représentent que 28 % des professeurs d’université.

    On constate également que les femmes sont bien représentées au sein des grandes disciplines Lettres-Sciences humaines et Droit-Economie-Gestion, et beaucoup moins en Sciences et Techniques.

    Si les choses vont globalement dans le bon sens, du chemin reste toutefois à parcourir.

    Un état de fait malgré une législation active

    C’est bien une sorte de barrière invisible qui semble bloquer la progression des femmes. Invisible, car rien dans les statuts ni les textes officiels n’autorise une discrimination entre les femmes et les hommes, bien au contraire.

    L’arsenal juridique est en effet très complet, et le discours politique volontariste ! Tout se passe comme si les politiques publiques en faveur de l’égalité réelle ne produisaient pas tous leurs effets. Ceci est le fait de stéréotypes de genre très forts : les femmes seraient « naturellement » attirées par les disciplines littéraires ; elles seraient moins intéressées ou moins aptes aux postes à responsabilités… Autant d’idées toutes faites qui persistent dans la société, et par là-même à l’Université.

    Conséquence directe de ces stéréotypes : les femmes s’autocensurent. Couplé à la surcharge d’activités domestiques, ce réflexe culturel contribue à freiner les chercheuses dans l’avancée de leur carrière. En moyenne, les femmes candidatent moins, ou plus tard ; elles soumettent moins dans les journaux disciplinaires, et sont moins souvent citées que les hommes ; elles ont des taux de succès plus faibles dans leur demande de financement ; elles sont moins invitées dans les conférences internationales. Et les phénomènes de cooptation et de parrainage concernent d’avantage les hommes, qui s’insèrent ainsi plus facilement dans les réseaux professionnels.

    L’enjeu majeur aujourd’hui est donc bien de casser ce plafond de verre !

    Quels obstacles avez-vous rencontrés au cours de votre parcours ? Comment les avez-vous franchis ?

    Jamais je n’aurais imaginé ce parcours lorsque j’ai été recrutée comme maître de conférence en 1994. L’autocensure et un sentiment d’illégitimité y sont certainement pour beaucoup.

    En choisissant cette carrière d’enseignant-chercheur, je ne projetais rien d’autre qu’une activité de recherche épanouissante et une activité d’enseignement assortie de responsabilités d’études qui me permettaient de rester proche des étudiants, toujours reconnaissants de mon engagement pour les accompagner dans leurs projets.

    Je ne cherchais donc aucunement à me positionner sur des fonctions à responsabilités, d’autant plus que j’habitais à plus de 100 km de mon lieu de travail et que j’avais 3 enfants en bas-âge. J’ai d’ailleurs cherché à muter dans l’université d’une métropole voisine de l’UBS, sans succès parce qu’avec 3 enfants j’aurais moins le temps pour la recherche, alors que j’y effectuais celle-ci depuis 4 ans. Un accident de voiture et la déception du refus de mutation m’ont ramené dans le Morbihan pour l’ensemble de mes activités auxquelles s’ajoutaient des responsabilités pédagogiques.

    Ma carrière a pris un premier tournant quand le doyen de la Faculté des Sciences est venu me chercher pour candidater à la fonction à la fin de son mandat. J’y ai réfléchi longuement en me demandant si j’en serai capable, avant de me saisir de l’opportunité avec l’envie d’apprendre, malgré un soutien familial limité.

    Je m’y suis beaucoup investie, j’ai beaucoup travaillé car j’avais le sentiment d’avoir beaucoup à prouver.

    6 ans après, quand le Président nouvellement élu est venu me chercher comme première vice-présidente, j’ai saisi ce nouveau challenge et j’ai occupé cette fonction pendant 8 ans. La reconnaissance d’une femme (seulement maître de conférence) face à des hommes (professeurs) ne vient que par le travail et la connaissance des dossiers.

    C’est mon travail et sa reconnaissance en devenant professeur d’une part, et mon implication dans les réseaux professionnels de doyen de Science et de vice-président du CA d’autre part, qui m’ont permis de penser au bout de ses douze ans de responsabilités que je pouvais envisager de candidater à la présidence de l’Université. Une formation avec l’AFDESRI et un mentorat sont venus conforter cette envie. Néanmoins, des collègues hommes soucieux de mon avenir (parce que j’allais perdre bien sûr…) m’ont proposé de rallier mon opposant pour garder ma place de numéro 2, ce qui n’était déjà pas si mal !

    Présidente depuis juillet 2020, je ne m’attendais pas un instant à être sollicitée pour entrer au Bureau de France Universités (CPU) en décembre 2020, et j’ai accepté après avoir pris conseil auprès de la vice-présidente du Bureau précédent. Illégitimité, quand tu nous tiens !

    Pour vous, atteindre la parité dans tous les postes à hautes responsabilités à l’Université est-il possible ?

    Les résistances au changement sont partout très fortes. Mais briser ce plafond de verre doit rester notre objectif.

    A l’Université, les données concernant la gouvernance sont emblématiques : seuls 15 % des femmes ont des postes de direction au sein des organismes de recherche et des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

    Des progrès sont néanmoins visibles :

    – Le nombre de présidentes d’université a par exemple augmenté : Début 2021, à la suite du renouvellement des instances dirigeantes dans beaucoup d’universités, on compte 14 présidentes sur 74, soit 19 % et une présidente de Comue ;

    – Le nombre de vice-présidentes a tendance à augmenter, mais de façon inégale en fonction des champs de compétences. Nous n’avons pas encore les chiffres pour 2021, mais début 2020, on compte un tiers de vice-présidentes et 16 universités dépassaient même la barre de 50 % de femmes dans leur équipe de VP. Les femmes sont majoritaires parmi les VP en charge des questions d’insertion, d’orientation ou de réussite, mais largement minoritaires encore lorsqu’il s’agit de recherche, de patrimoine ou de numérique. C’est un point de vigilance.

    – Concernant les membres des conseils d’administration, la part des femmes est passée de 32 % à 47 % à la suite de la loi de 2013. C’est une progression substantielle car la taille des CA a en moyenne augmenté aussi, passant de 30 à 36 membres sur la même durée.

    – La direction de composantes, de laboratoires ou d’écoles doctorales bénéficie d’une sous-représentation féminine, et ce, quelle que soit la nature des composantes. Fin 2019, seules 28 % de femmes dirigent une composante ; idem pour les laboratoires (28 %) et les écoles doctorales (29,5 %)

    – 41 % des directeurs généraux sont des femmes en 2019 ; et elles sont particulièrement présentes dans les établissements de petite taille.

    Compter sur la seule évolution « naturelle » pour voir progresser la mixité dans les lieux de responsabilité au sein du monde académique paraît illusoire. Nous avons besoin d’actions très concrètes et l’Université est une actrice privilégiée dans l’Enseignement supérieur et la Recherche.

    Quelles actions mettre en place pour remédier à cet état de fait ?

    Notre politique doit être résolument volontariste. Pour faire bouger les lignes, une association s’est créée : l’Association pour les femmes dirigeantes de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (AFDESRI), dont le rôle est d’œuvrer pour la place des femmes, à travers différents moyens : débats, rencontres, partage de bonnes pratiques, formations, mentorats…

    Les universités se sont également dotées de plans d’action en faveur de l’égalité, ainsi que de référents à l’égalité pour créer des conditions d’un égal accès aux métiers et aux responsabilités.

    Pour aller plus loin, nous pourrions :

    Développer la connaissance des métiers, élargir les viviers et agir pour une plus grande mixité des métiers ;

    Renforcer la formation à l’égalité réelle et la sensibilisation des personnels pour mettre fin aux stéréotypes de genre et lutter contre les discriminations ;

    Accompagner la mobilité géographique ;

    Fixer des objectifs chiffrés à atteindre dans un laps de temps déterminé, assortie de la préférence affichée pour les candidatures féminines à compétences et mérites égaux ;

    Développer le mentorat ou le marrainage.

    Les difficultés d’accès des femmes aux lieux de décision constituent en réalité la manifestation la plus emblématique des inégalités entre hommes et femmes.

    L’égalité de participation aux prises de décisions est non seulement une question de justice et de démocratie mais également une condition nécessaire pour que les intérêts des femmes soient pris en considération. La « moitié de l’humanité » doit pouvoir influer sur les décisions clefs qui sont prises dans tous les domaines qui touchent la société. C’est donc tout autant un enjeu d’éthique que d’efficacité : écarter les femmes, c’est se priver de compétences et d’expertises. Plus globalement, il faut lutter contre toutes les formes d’entre-soi. C’est particulièrement vrai en matière de recherche et d’enseignement où l’on a besoin d’une multiplicité de regards sur le monde.

    Quelques manifestations organisées par les établissements membres de la Conférence Permanente des chargé.e.s de mission Egalité et Diversité :

    Le mois de l’égalité à l’Université Grenoble Alpes ;

    La semaine de l’égalité et la journée des droits de la Femme à l’université de Tours

    Le programme du mois à l’Université Clermont Auvergne;

    Le programme de la semaine à l’Université de Strasbourg

    Les 40 évènements à l’Université d’Angers

    L’engagement de l’Université Bordeaux Montaigne sur la thématique

    La semaine de l’égalité à l’Université Paris Saclay

    Les actions du 8 mars à l’Université de Lyon 1

    La journée du 8 mars à l’Université Jean-Moulin Lyon 3

    Le programme de mars à l’Université de Rennes 1

    Le mois des égalités à l’Université de Paris

    Le programme de l’Université Aix Marseille Université

    Le plan Egalité à l’Université Gustave Eiffel

    Lire l’interview de Sophie Béjean, présidente de l’AFDESRI, réalisée pour le site en février 2020

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