Donner des clés aux femmes pour qu’elles « osent franchir les caps ». l’interview de Sophie Bejean, présidente de l’AFDESRI
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Donner des clés aux femmes pour qu’elles « osent franchir les caps ». l’interview de Sophie Bejean, présidente de l’AFDESRI

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    Photo : Sophie Béjean (à droite) aux cotés de Brigitte Plateau lors du séminaire AFDESRI du 17 janvier 2020

    Alors que les femmes sont plus nombreuses à accéder à des fonctions importantes dans l’enseignement supérieur, on note une diminution de leur nombre à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie. Quelles sont les raisons ? Quels sont les freins et les obstacles qui peuvent expliquer un tel phénomène ? Sophie Béjean a passé sa carrière dans l’Enseignement supérieur et dans l’Éducation nationale et a gravi tous les échelons. Présidente de l’Université de Bourgogne de 2007 à 2012, elle est nommée rectrice de l’Académie de Strasbourg en 2016, puis de la région académique d’Occitanie en février 2020. C’est en tant que présidente de l’Association pour les femmes dirigeantes dans l’Enseignement supérieur la Recherche et l’Innovation (AFDESRI) depuis 2017 qu’elle s’exprime aujourd’hui dans nos colonnes. Depuis 2014, l’AFDESRI se mobilise pour les accompagner, les encourager, et leur donner des clés pour s’imposer. Pour Sophie Béjean, il existe de nombreux freins qui expliquent qu’à compétences égales, elles osent moins candidater que les hommes à des postes de décisions.

    Présentez-nous l’AFDESRI ? Quelle est sa philosophie ? Quelles sont ses missions ?

    Sophie Béjean : L’AFDESRI a été créée en 2014 sous l’impulsion de Brigitte Plateau qui en a assuré la présidence jusqu’en 2017. Elle est le fruit d’un constat partagé par 7 femmes, toutes présidentes ou anciennes présidentes d’université, rectrices, ou directrices de grandes écoles : celui du très faible nombre de présidentes à la tête des universités. De plus, il n’existait pas en France d’associations de femmes dirigeantes dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, contrairement à d’autres pays : il y avait donc un vrai besoin en France.

    Les missions que nous nous sommes fixées au départ sont toujours celles que nous portons aujourd’hui :

    diffuser des informations, des indicateurs, des états des lieux pour faire prendre conscience aux hommes et aux femmes de notre communauté qu’il existe un plafond de verre dans l’ESR. On compte actuellement 55 % de femmes parmi les étudiants, 44 % chez les maîtres de conférences, 24 % pour les professeurs d’université et seulement 15 % des universités sont présidées par des femmes. C’est en prenant conscience de cette situation qu’on peut agir.
    favoriser les échanges, les débats et les rencontres. Nous organisons des séminaires, et en particulier un séminaire annuel auquel Gilles Roussel, président de la CPU, a participé ces deux dernières années.
    mettre en œuvre des actions, pour aider les femmes à accéder à des fonctions de décision.

    Au départ, nous n’étions que sept. Le fonctionnement de l’association repose sur un engagement bénévole, nous avons développé des actions progressivement. Nous sommes aujourd’hui près de 180, en comptant quelques hommes parmi lesquels les présidents de la CPU et la CDEFI ; la CGE est présidée par une femme également membre de l’association !

    Quels sont les freins à la carrière des femmes dans l’ESR que vous avez constatés ? Quels leviers préconisez-vous pour pallier la situation ?

    Plusieurs facteurs peuvent expliquer que plus on progresse dans la hiérarchie, moins la proportion des femmes est importante.

    Un début de carrière moins linéaire que celui des hommes : le début de carrière est un moment clé qu’il ne faut pas rater. Il est important de publier, de s’investir dans la recherche. Or, le début de carrière démarre tard chez les enseignants-chercheurs, après une thèse et un post-doc. Et c’est un moment de vie où les femmes sont souvent amenées à faire des choix personnels (en particulier la maternité), ce qui peut ralentir leur carrière. Pour les soutenir dans leur parcours et en particulier dans l’accès aux responsabilités, il faudrait les soutenir dès le début de leur carrière au moment même où elles vont en avoir le plus besoin.
    Un examen des dossiers inégalitaire : dans le monde universitaire, c’est évidemment la qualité du dossier qui prime, et notamment la qualité scientifique, l’investissement dans la formation. Or, on constate qu’à dossier équivalent, les femmes accèdent moins que les hommes aux promotions ! Pourtant, il y a quelques années, l’Inserm publiait une étude montrant qu’à niveau équivalent dans le parcours de carrière de chercheurs, les dossiers des femmes sont meilleurs en quantité et en qualité en termes de publications. La raison tient au fait que les dossiers ne sont pas examinés de la même manière à cause de stéréotypes qui ont la vie dure. Pour casser cet état de fait, plusieurs leviers peuvent être actionnés dont celui de la mise en place de jurys paritaires et la formation de ces derniers à la compréhension des stéréotypes de genre.
    Des candidatures féminines bien en-dessous du vivier réel : si les femmes accèdent moins aux fonctions de direction, c’est aussi parce qu’elles candidatent moins. Selon une enquête de l’AEF, réalisée en partenariat avec l’AFDESRI, elles représentent 13 % des candidatures, ce qui est bien en-dessous du vivier réel. On note une forme d’autocensure fréquente chez les femmes. Elles n’osent pas franchir le cap, et elles ont du mal à abandonner les missions qui sont les leurs et dans lesquelles elles se sont investies. En plus, elles attendent souvent d’avoir un dossier et une expérience très solides avant d’oser postuler. C’est l’une des raisons qui explique que l’on trouve peu de femmes à la tête des universités. Il faut les aider à prendre confiance en elles, à défendre leur parcours et leurs projets. Elles ont besoin d’être poussées et encouragées.

    Certaines se disent aussi qu’elles vont avoir du mal à concilier leur vie personnelle avec des hautes responsabilités. Or, un homme ne se poserait pas les mêmes questions. Nous sommes là pour les encourager, pour leur montrer que cela est possible, avec bien sûr une organisation solide !

    Le célèbre plafond de verre est-il franchissable ? Comment développer et encourager l’égalité d’accès aux fonctions dirigeantes ?

    Les femmes restent souvent numéro deux dans une organisation. Pour les pousser à accéder à la première place, L’AFDESRI propose un certain nombre d’actions :

    La formation : deux cycles de formation ont été mis en place. Le premier porte sur les enjeux liés à l’enseignement supérieur et la recherche. Il s’adresse à des femmes qui ont déjà des postes de responsabilité et leur donne l’occasion de rencontrer d’autres femmes et de partager leurs expériences. La seconde est consacrée à la question du leadership. L’objectif est d’accompagner les femmes qui ressentent le besoin d’être mieux armées pour parler en public, de savoir convaincre des interlocuteurs, de s’engager dans la campagne d’une élection à l’Université ou d’une composante universitaire.

    Pour ces formations, nous avons noué, depuis un an, un partenariat avec la CPU qui fonctionne de manière très efficace.

    Nous avons mis en place un mentorat entre des femmes expérimentées et celles qui souhaitent, pour une durée d’un an, bénéficier d’un accompagnement. Une dizaine de binômes est aujourd’hui constituée et fonctionne en toute confiance, dans le cadre prévu par notre charte du mentorat (avec en particulier une totale confidentialité de part et d’autre).

    Les hommes ont-ils un rôle à jouer pour garantir l’égalité hommes-femmes ?

    Évidemment ! Même si l’entraide entre les femmes est un levier, nous avons besoin des hommes à nos côtés. En aidant les femmes à prendre conscience qu’elles ont le profil, l’expérience, que le moment est venu pour elles, ils peuvent déclencher leur candidature à des postes de responsabilité.

    Il est nécessaire aussi que les hommes, et les femmes d’ailleurs aussi, prennent conscience des stéréotypes sexistes qui entourent les femmes de pouvoir. On a tendance, en effet, à caractériser une femme qui prend des décisions de « femme autoritaire », alors qu’on dira d’un homme qu’il est « charismatique ». Il est urgent de lutter contre cette minimisation de la capacité managériale et politique des femmes qui est tout aussi importante que celle des hommes.

    Quel a été votre chemin pour accéder aux plus hautes fonctions de l’ESR ? Présentez-nous votre parcours.

    J’ai eu un parcours classique, durant lequel j’ai avancé pas à pas. J’ai commencé par être maître de conférences. Et comme beaucoup, je me suis investie dans la formation, dans l’orientation des étudiants, dans la mise en place de la création de formations professionnelles. Une dizaine d’années plus tard, j’ai passé le concours de professeur d’université.

    Puis mon prédécesseur, l’ancien président de l’Université de Bourgogne, m’a demandé de faire partie de son équipe. J’ai commencé par être conseillère pour les relations avec le monde économique, puis vice-présidente en charge des formations. Et il m’a poussé à me présenter à la présidence, me disant que j’avais toute l’expérience, les qualités et la vision politique qu’il fallait.

    A vrai dire, je n’y croyais pas. A l’époque, j’avais un fils encore petit. Et j’étais très investie dans le master professionnel que je dirigeais ainsi que dans l’équipe de recherche en économie de la santé à laquelle j’appartenais. J’avais donc peur de devoir abandonner mes fonctions, de ne pas pouvoir concilier cette fonction intense avec ma vie personnelle. Ma sœur m’a dit à ce moment une phrase clé, qui raisonne encore en moi : « un homme ne se poserait pas la question !». Ça a été un déclic, et j’ai candidaté. J’ai passé ensuite cinq années passionnantes à la tête de mon université. Malgré les difficultés, les dossiers sensibles, j’ai pris beaucoup de plaisir.

    Par la suite, le ministère m’a confié la présidence de Campus France, et du conseil d’administration du CNOUS. Parallèlement, j’ai présidé le comité pour la stratégie nationale de l’enseignement supérieur (STRANES), qui m’a donné une vision beaucoup plus large de l’ensemble des enjeux pour l’enseignement supérieur au niveau national. En 2016, j’ai été nommée rectrice de l’Académie de Strasbourg, et en février 2020, rectrice de l’académie de Montpellier et rectrice de la Région académique d’Occitanie.

    Personnellement, j’ai réalisé très tardivement les réelles difficultés que pouvait rencontrer une femme dans sa carrière. Le fait qu’il y ait si peu de femmes autour de moi dans les postes de direction m’a ouvert les yeux. Pour moi, le combat des féministes, c’était le combat de la génération de ma mère. Mais les chiffres sont là et ils ne mentent pas. Ma prise de conscience m’a conduit à m’investir dans notre association AFDESRI. A nous d’aider les femmes à prendre conscience de ces blocages et à leur donner confiance dans leurs talents et leurs possibilités.

    Consulter l’enquête présentée à l’occasion du séminaire de l’AFDESRI, le 17 janvier 2020

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