« Revaloriser les carrières de nos jeunes chercheurs » : une nécessité pour Jules Hoffmann, prix Nobel de médecine
Si la recherche française détient des atouts indéniables, celle-ci souffre d’un problème d’attractivité évident. Invité à s’exprimer lors du séminaire « Les enjeu de la recherche en France », organisé par la Conférence des présidents d’université, le 18 décembre dernier à l’Assemblée nationale, Jules Hoffmann, prix Nobel de médecine 2011, expose, pour le site de la CPU, sa vision de la recherche en France. Pour lui, il y a urgence à revaloriser les salaires des jeunes chercheurs, à fluidifier les relations entre universités et organismes de recherche et à former les plus jeunes à la vérité scientifique. Pour apporter des réponses à ces défis, la prochaine loi de programmation annuelle de la recherche « vient à point nommé ». Entretien avec Jules Hoffmann.
Quelle vision portez-vous sur la recherche française aujourd’hui ?
Comparée à nos voisins européens et américains qui investissent beaucoup dans la recherche, la France se situe actuellement un peu en retrait. Et c’est dommage car la France possède des atouts considérables et elle excelle dans de nombreux domaines. Je pense notamment à la physique, la chimie, l’informatique, la bio-médecine, dans lesquels la France obtient de prestigieuses récompenses internationales.
Si l’on souhaite redonner toute sa vigueur à la recherche, il y a urgence à y injecter les moyens financiers suffisants. Aujourd’hui, la France consacre 2,2 % de son PIB à la recherche. Elle s’est fixée comme objectif de monter ce chiffre à 3 % dans un futur proche.
La loi de programmation pluriannuelle de la recherche, avec les promesses financières qu’elle contient, vient donc à point nommé. Il faudrait également profiter de cette loi pour procéder à des « toilettages » : je préconise notamment une meilleure coordination entre les universités et les grands organismes de recherche et un allègement des contraintes administratives qui sont en train d’étouffer l’activité et la force créatrice de nos chercheurs !
L’accueil de nos jeunes chercheurs vous paraît-il satisfaisant en France ? Y-a-t-il des progrès à faire ?
Les jeunes chercheurs entrent dans le système universitaire le plus souvent après un, quelque fois deux, stages post-doctoraux. Ils ont donc déjà 30, voire 35 ans. Et on leur offre de débuter avec un salaire inférieur à 2000 euros nets, ce qui est à mon sens, inacceptable ! Comment voulez-vous vivre décemment à Paris, parfois avec une famille, avec une telle rémunération ? Face à des salaires bien plus élevés proposés aux chercheurs dans nos pays voisins, la France souffre d’un manque d’attractivité. Je prône donc avec force une revalorisation financière des carrières.
Par ailleurs, nous devrions alléger la charge d’enseignement pour les jeunes enseignants chercheurs, bien trop élevée, à mon sens. On leur demande 200 heures d’enseignement par an, avec toute la charge de travail que cela représente (préparation et tenue des cours, correction des copies…). C’est évidemment trop pour qu’ils puissent développer à côté une activité de recherche autonome et novatrice.
Enfin, le système des primes accordées aux chercheurs devrait être revu. Elles sont très peu importantes comparées à ce qui se fait dans les autres pays et dans d’autre secteurs de la fonction publique française. Aussi, il m’apparaît préférable de donner aux universités une autonomie complète pour fixer le montant de ces primes. Une partie d’entre elles sont actuellement délivrées par le CNRS en fonction du nombre d’années passées dans la recherche publique, alors que cela pourrait être décidé au plus près du terrain, car c’est là que les compétences des chercheurs sont les mieux identifiées. En Angleterre, par exemple, ce sont les directeurs des instituts de recherche qui fixent eux-mêmes les salaires.
On note, à l’heure actuelle, une défiance de la société envers la science. Comment réconcilier la société avec la vérité scientifique ?
Pour commencer, sensibilisons les plus jeunes. Nous devons mettre davantage l’accent sur l’enseignement scientifique à l’école et éveiller les enfants à la curiosité et à l’imagination scientifique. Cela passe notamment par la formation des professeurs des écoles, élément qui tient d’ailleurs à cœur à Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale.
La sensibilité à la vérité scientifique est le fruit d’un apprentissage : il est rare qu’elle soit innée.
Ensuite, il faut arriver à simplifier le jargon scientifique qui intimide les novices et qui représente, de ce fait, un frein important à l’enthousiasme pour les sciences.