L’Université dans ses territoires : l’éclairage de Philippe Estèbe, géographe
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L’Université dans ses territoires : l’éclairage de Philippe Estèbe, géographe

France Universités : date de publication

    A l’occasion de l’université d’été de la CPU qui a lieu le 25 et 26 août, Philippe Estèbe, géographe et auteur notamment de L’égalité des territoires (PUF 2015), participe à la table ronde « Les territoires de l’Université », aux côtés de Nicolas Portier, directeur général de l’Assemblée des Communautés de France. Pour le site de la CPU, il analyse le lien qui unit l’université et son territoire et annonce les grands défis géographiques auxquels, selon lui, l’université va être confrontée dans les années à venir.

    CPU : En quoi les caractéristiques d’un territoire influencent-elles les missions de l’université ?

    Philippe Estèbe : L’ancrage géographique et le développement de la stratégie d’une université sont intimement liés. En fonction des spécificités territoriales, trois dimensions peuvent être retenues :

    – l’accessibilité physique et sociale de l’enseignement supérieur pour les étudiants, les enseignants et les chercheurs. De ce point de vue, toute localisation présente des avantages et des inconvénients qui ne sont évidemment pas les mêmes selon les groupes sociaux.
    Une localisation centrale, une grande ville par exemple, présente un avantage d’accessibilité physique et facilite l’attractivité nationale et internationale. Elle pose, en revanche, des problèmes sociaux et matériels tels que le coût de la vie, l’accès au logement… Inversement, une université de ville moyenne peut contribuer à réduire les problèmes d’accessibilité sociale et matérielle pour les étudiants, mais risque de n’attirer que des étudiants habitant à proximité.

    – la densité universitaire dans un lieu donné (nombre d’établissements d’enseignement supérieur, d’étudiants, d’enseignants et de chercheurs) en relation avec la densité du lieu lui-même. Une forte densité présente évidemment des atouts en termes de choix de parcours, de rencontres et de croisements possibles entre les différents établissements.
    Mais une faible densité présente aussi des avantages spécifiques : meilleur suivi des étudiants, relations plus étroites avec les milieux sociaux, économiques et culturels locaux, dimension communautaire de l’enseignement, de la recherche et de l’administration.

    – la diversité de l’offre et de la demande universitaires. Une grande diversité de l’offre ouvre des marges de choix, permet des confrontations entre les disciplines ainsi que des innovations dans les productions universitaires. Mais une faible diversité d’offres, qui mène à une forte spécialisation de l’offre localisée, peut aussi se concevoir comme un contrepoids aux effets de taille et de densité.

    CPU : Les réorganisations territoriales et la taille des nouvelles régions et des métropoles vont-elles modifier les missions des universités ?

    Les nouvelles régions, telles que définies par la réforme des territoires du 17 décembre 2014, devraient permettre de penser l’organisation territoriale de l’enseignement supérieur, et particulièrement de l’université, en termes de « système ».
    Dans l’organisation régionale actuelle, centrée autour d’une capitale régionale sans rivale, le débat tourne autour du couple centralisation/décentralisation qui oppose les partisans de l’efficacité – autrement dit, la concentration des moyens et de l’offre sur la métropole – et les partisans de l’équité – autrement dit, la répartition territoriale de l’offre pour mieux équiper les différentes entités territoriales.
    L’élargissement des régions, le fait que certaines d’entre elles vont disposer de deux, voire de trois villes déjà identifiées comme universitaires doit justement inciter à réfléchir aux missions assignées à l’université.

    Or ces missions sont d’une très grande diversité : formation des jeunes et des adultes, insertion dans l’emploi, production de connaissances nouvelles, animation de débats intellectuels, culturels et scientifiques, excellence de la recherche, découvertes, participation à l’innovation technique, sociale, économique, contribution à la compétitivité économique, etc. Selon les missions et les publics visés, les enjeux de localisation et ce qui les sous-tend (accessibilité, densité, diversité) seront variables. Les universités de ville moyenne, par exemple, peuvent bénéficier de l’élargissement des régions, dès lors qu’elles prennent leur place dans une stratégie fondée sur la complémentarité des missions.

    Ce qui sera décisif, c’est la capacité des acteurs universitaires, politiques et des citoyens à s’entendre sur les principales missions qu’ils souhaitent assigner à l’université, et leurs conséquences en termes de localisation (accessibilité, densité, diversité).

    CPU : Quels types de réseaux territoriaux structurent l’enseignement supérieur et la Recherche ?

    Les travaux de l’équipe Géographie-Cités, animés notamment par Nadine Cattan, montrent que le circuit de l’enseignement supérieur s’organise selon plusieurs types de réseaux territoriaux :

    – des réseaux régionaux, où l’offre universitaire de la capitale régionale draine une part importante de la demande locale d’enseignement supérieur;
    – des réseaux interurbains de moyenne ou de longue distance, reliant entre elles les capitales régionales;
    – un réseau national dans lequel l’offre parisienne joue évidemment un rôle central ;
    – des réseaux transnationaux, européens voire mondiaux.

    Toute la difficulté et tout l’intérêt d’une politique territoriale de l’université consistent dans la capacité des différents établissements à combiner ces réseaux. Il s’agit d’abord de reconnaître et de comprendre ces interdépendances, autrement qu’en termes binaires, déficit ou excédent d’étudiants par exemple, et, ensuite, selon les objectifs politiques, de les faciliter. En ce sens, la réflexion sur le fonctionnement des réseaux d’enseignement supérieur et de recherche est un élément essentiel des nouvelles formes de solidarités horizontales entre territoires.

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