Les femmes dans la recherche scientifique : pour Eslem Ben Arous, docteure en archéologie et géochronologie, du chemin reste à parcourir pour leur permettre d’accéder à « des postes à responsabilités » !
Si les femmes sont majoritaires à l’entrée à l’Université, on note une déperdition au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie. Elles représentent ainsi aujourd’hui seulement 24 % des directeurs de recherche. Pour Eslem Ben Arous, docteure en archéologie et géochronologie1 au Muséum national d’Histoire naturelle, les raisons sont nombreuses et des actions peuvent être menées pour remédier à cet état de fait. A l’occasion de la journée internationale des femmes et des filles de sciences du 11 février, celle qui participa à l’édition 2019 du concours « Ma thèse en 180 secondes » revient, pour le site de la CPU, sur son parcours et sur son attrait pour la recherche. Elle expose également de nombreuses pistes pour remédier à la « ségrégation verticale » et donner aux femmes la place qui leur revient dans la recherche française.
CPU : Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ? En quoi consiste votre travail de recherche ?
Eslem Ben Arous : Je suis chercheuse postdoctorante en Géochronologie et Préhistoire Africaine. J’ai obtenu en 2020 la bourse postdoctorale de la Fondation Fyssen afin d’intégrer le Pan-African Research Evolution Group du Max-Planck Institute for the Science of Human History de Jena, en Allemagne. Après une licence en Géosciences en 2014 à l’Université Pierre et Marie Curie, puis un Master en Géochronologie et Préhistoire au Muséum national d’Histoire naturelle, j’y ai obtenu en 2019 mon doctorat. Actuellement, je travaille sur la définition du cadre chronologique de sites préhistoriques en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Côte d’Ivoire et Bénin), fouillés par le Dr. Eleanor Scerri, afin de tester les hypothèses sur le rôle des zones forestières tropicales d’Afrique de l’Ouest dans l’histoire évolutive d’H. sapiens.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous consacrer à la recherche ?
Contrairement à beaucoup de collègues, je n’ai pas eu de « révélation » particulière étant petite. A l’époque, mis à part Marie Curie, je ne connaissais pas beaucoup de femmes scientifiques célèbres. Ma famille m’a transmis le goût de l’histoire et des sciences. Et l’envie de faire de la recherche est venue progressivement. Découvrir ce qui n’est pas encore connu et transmettre ce savoir sont les deux éléments qui m’ont attiré. Mon travail de chercheuse est extrêmement stimulant et exaltant : il est au carrefour des sciences exactes et des sciences humaines.
Une chose m’a étonnée au fur et à mesure de mes études supérieures : les femmes, très présentes dans les laboratoires de recherche, le sont beaucoup moins dans l’espace médiatique.
Pour vous, les femmes et les filles prennent-elles assez leur place dans le monde de la recherche, notamment dans les sciences dites « exactes » ? Sur quels leviers devrait-on travailler pour les aider à franchir le pas ?
Malheureusement, même encore aujourd’hui, elles sont trop peu nombreuses à occuper des postes de décision dans le domaine scientifique. A l’entrée à l’Université, la parité est globalement respectée. Cependant, à mesure que l’on avance dans une carrière scientifique, les femmes se font de plus en plus rares. Il existe plusieurs facteurs à cela parmi lesquels les préjugés, le manque de reconnaissance, l’implication dans la vie familiale, un système ultra compétitif, et le manque de moyens pérennes. Certaines femmes s’autocensurent, se sentant moins légitimes pour candidater aux postes à haute responsabilité. On nous montre dans la culture populaire, depuis notre enfance, que les « hauts postes » sont occupés par les hommes : difficile pour certaines femmes chercheuses de se projeter dans un poste à responsabilités dans ce contexte !
Par ailleurs, le processus actuel de sélection de la recherche est extrêmement concurrentiel. La prise en charge de la vie familiale est majoritairement encore assurée par les femmes, ce qui fatalement accentue les inégalités. Leur carrière est donc freinée, ce qui les rend moins compétitives pour des postes dans la recherche.
L’éducation des filles ET des garçons est un levier puissant pour déconstruire les préjugés autour de la place des femmes dans la Recherche et la Science, présents dans beaucoup de pays et de milieux. Il faut encourager les directions des Universités, des Instituts et Organismes de Recherche à recruter plus de femmes à des postes pérennes et à des responsabilités scientifiques. Cela conduira à un changement de mentalité, qui à terme permettra leur présence pleine et entière. En Allemagne, j’ai été fortement impressionnée par les moyens mis en place par la société Max Planck pour permettre aux jeunes couples de chercheurs scientifiques de vivre équitablement leur vie de famille et leur vie professionnelle : les horaires sont aménagés et des gardes d’enfant sont proposées sur le lieu de travail. Pourquoi ne ferait-on pas de même en France ? Enfin, un levier primordial repose sur la sécurisation et la pérennité de nos carrières par la création de postes non-précaires, ce qui n’est, à mon sens, clairement pas la direction prise par le Gouvernement. Du chemin reste à parcourir en France !
1 La géochronologie (ou la datation) est la science qui permet d’attribuer à un objet (roche, fossile, sédiment, charbons…) une date à partir de différentes méthodes de datations reposant sur la physique et la chimie.
Sur le même thème