Interview de Jean-François Balaudé : de l’importance de « former à la citoyenneté numérique »
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Interview de Jean-François Balaudé : de l’importance de « former à la citoyenneté numérique »

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    Le numérique peut et doit rimer avec éthique. A l’occasion du colloque « Université 3.0 : nouveaux enjeux, nouvelles échelles à l’ère numérique », organisé par la CPU à l’université de Strasbourg du 27 au 29 mai, Jean-François Balaudé, président de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, animait la table ronde : « l’essor du numérique et les droits fondamentaux : quels usages et quelles balises éthiques pour nos données ? ». Il revient pour le site sur les questions éthiques liées à l’ouverture massive des données sur Internet.

    CPU : Dans quelles mesures protection des données personnelles et droits fondamentaux sont-ils liés ?

    Jean-François Balaudé : Le lien est étroit : les données personnelles donnent sur les individus concernés des informations de nature confidentielle, qui n’ont vocation à être ni partagées ni diffusées, sauf si les personnes y consentent. Or, l’existence de failles dans la protection des données personnelles revient à mettre en question les droits fondamentaux, et notamment le droit au respect de la vie privée. Les réseaux sociaux et la circulation des données sont ici en ligne de mire.
    Mais la question est délicate, car ce sont les individus eux-mêmes qui livrent très librement un certain nombre d’informations personnelles. C’est donc davantage l’usage que les plateformes font des données récoltées, leur recoupement et leur analyse qui posent question.

    Autre phénomène inquiétant : la commercialisation de la donnée massive. A partir d’un certain nombre de données recueillies, les logiciels arrivent à déterminer des profils types : on peut, par exemple, savoir que les jeunes actifs de la tranche 30-35 ans, d’un certain niveau social, ont un goût pour la marque X et auront probablement, très prochainement, un goût pour la marque Y. Il y a un usage commercial de la donnée qui permet de faire des corrélations. Et aujourd’hui, rien n’est pas encadré par le droit.
    Autre exemple, cette fois, plus inquiétant : imaginons qu’une personne donne des informations sur son état de santé, ses pratiques sportives, ou encore sur sa façon de conduire et que ces données soient, par recoupement, transmises à des sociétés d’assurance. A la suite de quoi, celles-ci pourraient décider de prendre des mesures et pourquoi pas, modifier le contrat d’assurance en conséquence. Cette traque des profils individuels doit attirer toute notre attention.
    Il faut également prendre garde au « gouvernement des algorithmes », qui nous transforme insidieusement en consommateurs pilotés par des données, dont les goûts vont être de plus en plus formatés.

    Quel est l’enjeu éthique de la protection des données ?

     Les enjeux éthiques sont à la charnière entre le droit et la politique. Et, ils sont toujours liés au respect de la personne.
    A partir du moment où les données peuvent définir des profils types de comportement, les pouvoirs publics peuvent avoir accès à des indications très précises qui vont au-delà de ce qu’on est légitimement en droit de savoir sur un individu.
    Si l’objectif est d’avoir une approche sociologique de la population, pourquoi pas. Mais les difficultés commencent à partir du moment où on a affaire à usage politique des données. La frontière est ténue…
    Pour toutes ces raisons, l’éducation à la citoyenneté numérique est essentielle. Pour que chacun soit bien conscient des risques, il faudrait, à mon sens, intégrer des formations à la citoyenneté numérique dès l’école. Tout individu doit être conscient des risques lorsqu’il multiplie les inscriptions ici ou là sur Internet autorisant la plateforme à utiliser ses données personnelles. Vigilance et éducation sont pour moi les deux maîtres mots.

    Internet menace-t-il le droit à l’oubli ?

     Le droit à l’oubli permet à un individu de demander le retrait de certaines informations liées à son passé et qui pourraient lui nuire. Le droit à l’oubli numérique est reconnu en France et l’arrêt du 13 mai 2014 de la Cour de justice de l’Union européenne le consacre.
    Aujourd’hui, des demandes régulières sont adressées par des internautes aux moteurs de recherche. Google, par exemple, applique le droit à l’oubli, sous certaines conditions : il s’assure que la demande porte bien sur une donnée strictement personnelle. Dès lors que la donnée confine au domaine public, il ne donne pas suite.
    Si le droit à l’oubli s’appliquait de façon massive, cela pourrait remettre en cause le fonctionnement même de Google et du référencement. Il s’agit donc d’une application au cas par cas. Le droit à l’oubli est donc bien installé et garanti. Mais l’exercice de ce droit n’est pas aussi simple qu’il y paraît.

    Photo : Jean-Francois Balaudé lors de l’animation de la table ronde

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