[Interview] Confinement, loisirs et vacances d'été : l'"équation complexe" des recompositions sociales du temps

France Universités : date de publication

    Afin de garder en tête les enjeux et les incertitudes qui prévalaient il y a deux mois, il est important d’opérer un « feed back »…
    Interview de Bertrand Réau, sociologue des pratiques touristiques et des usages sociaux du temps au Cnam

    Pour ceux qui pourront partir en vacances, à quels ajustements du contenu de leur séjour doivent ils s’attendre dans un contexte sanitaire où il s’agira de minimiser le risque de rebond de l’épidémie ?

    Ce qu’il faut quand même comprendre, c’est qu’une bonne partie des hébergements de vacances introduisent une promiscuité temporaire qui participe d’un relâchement des contrôles par rapport au temps normal, et que l’on s’habitue d’autant mieux à un logement plus restreint que d’habitude que l’essentiel des activités s’effectue en extérieur : parcs d’attraction, plages, musées, parcs de loisirs, campings… autant de lieux et d’événements qui regroupent beaucoup de monde dans des espaces restreints. Par ailleurs, une grande partie des Français privilégie les hébergements non commerciaux, en rendant visite à leur famille ou à leurs amis, ainsi que les destinations en bord de mer, ce qui n’est pas anodin compte tenu du contexte sanitaire actuel. Ce sont de vraies questions, qui inquiètent beaucoup les professionnels du secteur touristique. Les professionnels travaillent aussi à s’adapter à la situation sanitaire en préparant des aménagements, des scenarii, des alternatives. Les touristes seront, certainement, très sensibles aux efforts en la matière. Mais, aujourd’hui, beaucoup d’incertitudes demeurent.

     

    A quels compromis et quelles pratiques alternatives de loisirs et de séjours pourrait donner lieu ce contexte sanitaire atypique ?

    Habituellement, ce sont les classes supérieures qui multiplient et diversifient le plus leurs types de loisirs et de voyages. Il va donc être intéressant d’observer comment ces familles vont réadapter leur mode de vie en fonction des contraintes et des ressources qui sont les leurs, comme on en voit actuellement un premier exemple avec l’usage de la résidence secondaire. Il y a aussi les appels à privilégier le tourisme en France, qui va être un enjeu très important et qui pourrait donner lieu à une recrudescence des excursions à la journée, notamment en fonction des autorisations de mobilité accordées par les autorités. De nombreuses offres touristiques, commerciales ou non, se développent dans l’idée de pouvoir créer de l’exotisme et de l’enchantement près de chez soi : profiter des visites de quartiers de Paris par des habitants, des équipements de loisirs locaux, pratiquer la randonnée en nature, découvrir notre riche patrimoine de moulins, châteaux, musées… Mais l’équation est complexe… entre les restrictions et l’évitement des lieux accueillant de larges publics, les plus ou moins grandes libertés de circuler au-delà de sa ville, son département, sa région et les types d’hébergement de vacances…

    Sur le plus long terme, cette crise risque t-elle d’avoir un impact sur les représentations sociales attachées aux vacances et au voyage et faire apparaître de nouvelles variables dans le choix des destinations ?

    Les effets de cette crise sur les représentations du voyage et de la mobilité est une question qu’il va falloir se poser, notamment sur la représentation du risque. Qu’il s’agisse des conflits ou des épidémies, le risque est habituellement perçu comme lointain. Pour la première fois, il est chez nous, à proximité, continu et diffus, ce qui pourrait avoir des effets contrastés aussi sur les aspirations ou non au voyage, sur le type de voyage choisi… Je pense qu’il va y avoir aussi un gros travail de réflexion au niveau des assurances, du secteur aérien et plus globalement des professionnels du tourisme pour savoir comment travailler sur ces nouveaux besoins qui peuvent être émergents avec cette crise et sur la manière dont ils pourraient recomposer pas mal de secteurs.

    Cette prise de conscience des acteurs économiques et ce changement dans les représentations mentales représentent-ils une opportunité pour faire émerger dans le débat l’importance de développer une offre touristique durable ?

    Dans un article sur les effets positifs du confinement sur la lagune de Venise, Simone Abram souligne que la crise sanitaire est vécue directement, puisqu’elle touche tout le monde au pied de chez soi, par contraste avec la crise écologique, qui habituellement nous paraît plus lointaine. Or, le cas de Venise et de sa lagune redevenue claire dès l’arrêt du surtourisme a rendu visible l’impact néfaste de ces pratiques sur l’environnement. Cela peut donc amener à une réflexion sur les solutions intermédiaires afin de soutenir le secteur touristique sans dégrader l’environnement. A un moment ou autre, on ne pourra pas se passer d’une politique publique du temps libre, qui réfléchisse aux impacts de nos pratiques de mobilités, à l’articulation des temps sociaux, et mette en place des plans d’action à l’échelle globale. Le secteur du tourisme et des loisirs souffre aujourd’hui d’un manque de données d’observations récentes et nationales sur les pratiques des Français comme l’INSEE a pu en produire ce qui pose certaines difficultés, ne serait-ce que pour comprendre les risques associés aux différents types de pratiques, soutenir les connaissances pour l’aide à la décision publique ou encore permettre aux professionnels du tourisme de développer et adapter leur offre. A l’heure où se profile l’importance croissante du tourisme en France face aux restrictions de la mobilité internationale, le renouveau d’outils permettant une connaissance fine des différentes pratiques de vacances des Français pourrait constituer un atout non négligeable pour éclairer les politiques publiques en la matière.

     

     

    Lire l’interview complète sur le site du Cnam

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