Classements internationaux : si pour Sebastian Stride, tous les indicateurs sont potentiellement utiles, « le tout est de savoir s’en servir »
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Classements internationaux : si pour Sebastian Stride, tous les indicateurs sont potentiellement utiles, « le tout est de savoir s’en servir »

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    Invité à s’exprimer à l’occasion de la journée d’échanges « Classements internationaux et politique d’établissement », qui s’est tenue le 17 juin dernier à la CPU, Sebastian Stride, partenaire de Siris Academic, Barcelone, revient pour le site de la CPU sur les atouts et les faiblesses des différents classements internationaux.
    Ces derniers existent depuis une quinzaine d’années, mais leurs impacts évoluent, prennent de l’ampleur et ont de plus en plus de retombées médiatiques. Si les prendre en compte est une nécessité, Sebastian Stride invite pourtant les universités à les « considérer comme des outils » permettant de mieux s’évaluer et de définir une stratégie.

    CPU : Pouvez-vous nous présenter les principaux classements internationaux qui existent aujourd’hui ? Quels sont les atouts et les faiblesses de chacun ?

    Sebastian Stride : Il y a aujourd’hui des dizaines de classements internationaux (1), voire des centaines car chaque indicateur de chaque classement peut être considéré comme un classement en soi.
    Ceci dit, 3 classements principaux sont médiatisés : ARWU (Shanghai), QS et THE (Times Higher Education).
    ARWU est un classement transparent dont les calculs peuvent être reproduits. Il mesure le potentiel des institutions en recherche et favorise celles qui produisent une grande quantité de recherche à fort impact. Mais ce classement ne prend en compte ni l’enseignement, ni les activités de transfert de connaissance. Et les indicateurs choisis le rendent défavorable aux sciences humaines et sociales.
    – Les classements QS et THE prétendent mesurer la qualité d’une institution de manière plus large et complète. Cependant, le classement général est corrélé aux résultats de leurs enquêtes de réputation qui sont, méthodologiquement, discutables. Il faut donc s’en servir avec beaucoup de précaution.
    Il est possible de comparer l’évolution du classement de ARWU dans le temps car la méthodologie n’a pas changé depuis 2004. En revanche, ce n’est pas le cas pour QS et THE qui ont ajusté cette dernière au cours du temps.

    Personnellement, mon indicateur favori est le PP Top 10% proposé par CWTS Leiden, qui mesure la proportion des publications les 10 % les plus citées dans les revues scientifiques pour chaque institution.

    Chaque indicateur est potentiellement utile : le tout est de savoir s’en servir.

    On observe une montée en puissance de l’importance des classements depuis une quinzaine d’années. Quel est l’impact aujourd’hui de ces classements pour les universités ?

    Plutôt que de parler d’un impact des classements, je parlerais d’un impact de la globalisation de l’enseignement supérieur et de la recherche en tant que secteur. Le nombre d’étudiants qui envisagent de poursuivre leurs études à l’international a considérablement augmenté au cours des quinze dernières années. Il en va de même pour les enseignants-chercheurs qui ne s’étonnent plus de recevoir des offres d’emploi d’universités américaines ou chinoises.
    Les classements reflètent cette nouvelle réalité. C’est pour cela que leur impact est aussi important (2). Ils influent sur le choix des étudiants, des enseignants-chercheurs, des entreprises et des gouvernements… Aujourd’hui ils sont même pris en compte pour délivrer des visas ou des titres de séjours !

    Ceci dit, il ne faut pas oublier que ces classements internationaux ne concernent qu’une petite minorité des universités et écoles. Un grand nombre d’établissements revendiquent des spécificités propres. Je prendrais deux exemples :
    – À Manchester, Manchester University (40 000 étudiants) se concentre sur une mission d’université de recherche. Elle est classée en conséquence : 27ème dans QS, 34ème dans ARWU, 57ème dans THE.
    – Manchester Metropolitan University (33 000 étudiants) est centrée sur des missions d’excellence en formation de premier cycle et de proximité au territoire. Elle est classée dans QS (751-800ème) et dans THE (601-800ème), mais elle n’a aucune ambition d’améliorer son classement international. Sa fierté est ailleurs : elle a été classée « Silver » par le Teaching Education Framework Britannique (3), témoignage de la qualité de sa mission d’enseignement.
    Et il en est de même dans nombre d’établissement allemands, belges, suisses ou hollandais…

    Quelles clés donner aux universités pour se positionner et faire de ces classements un atout dans leur stratégie ?

    Les universités doivent considérer ces classements comme des outils permettant de mieux s’évaluer, les aidant à définir une stratégie et à mesurer leur performance. Il faut les comprendre, les évaluer, les déconstruire pour pouvoir mieux s’en servir.

    Pour ce faire, la meilleure approche est de construire son propre tableau de bord, (il est possible, pour les établissements, de dépasser la logique des classements en définissant et en optimisant leurs propres indicateurs), car chaque institution évolue dans un contexte particulier et détient des objectifs qui lui sont propres.
    Ce tableau de bord peut alors inclure non seulement des indicateurs tirés des classements mais aussi une panoplie d’autres critères au service de la stratégie définie par l’université.
    Cette approche doit se construire sur le long terme et être intégrée dans l’organigramme de l’université au bon niveau. Une solution possible est de créer, au sein des établissements, des « quality management office », directement rattachés à la Présidence, qui assurent un suivi des classements et des indicateurs, mais dont le rôle va bien au-delà.

    Comment se situent les universités françaises en 2019 et quelles sont leurs marges de progrès ?

    Les universités et écoles françaises ne se positionnent pas particulièrement bien dans les classements internationaux. Une série de raisons, liées à la structuration du système d’enseignement supérieur et de recherche, explique cela :
    – Le poids des organismes nationaux de recherche a un impact fort sur le classement des universités. Le problème va bien au-delà d’une simple question d’affiliation dans les bases de données comme Scopus ou WoS. En effet, chaque fois qu’un chercheur d’une unité mixte met en avant son affiliation à un organisme plutôt qu’à une université – même dans un contexte informel ! – cela contribue à diminuer la visibilité de cette université dans les enquêtes de réputation de QS et THE.
    – De même, la persistance d’un système binaire écoles/universités et l’émergence de systèmes universitaires comme les ComUEs augmente encore la confusion. A titre de comparaison, Harvard est membre d’un système universitaire – le Boston Consortium (4), mais celui-ci ne prétend pas être classé : il ne mettra ainsi jamais en place une signature unique et n’aspire pas à être visible internationalement.

    Au-delà de ces questions institutionnelles, toutes les universités ont une marge de progrès, mais celle-ci doit être alignée sur leurs missions et leur stratégie. La première question à se poser n’est donc pas « comment progresser dans les classements ? », mais « existe-t-il certains critères issus d’un ou plusieurs classements qui peuvent m’aider à me comprendre, à construire ma stratégie et à évaluer la mise en œuvre de celle-ci ?” C’est sur cette base qu’une progression dans les classements sera possible.

    [1] L’IREG (Observatory on Academic Ranking and Excellence) liste les principaux sur son site: http://ireg-observatory.org/en/inventory-international-rankings/ranking-profile

    [2] La European University Association a produit plusieurs rapports excellents à ce sujet. Par exemple: Hazelkorn, E., Loukkola, T., & Zhang, T. (2014). Rankings in institutional strategies and processes: impact or illusion? Brussels: European University Association.

    [3] https://www2.mmu.ac.uk/teaching-excellence-framework/

    [4] http://www.boston-consortium.org/

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