Intelligence artificielle : préparer l’Université à des évolutions sans précédent
Photo : Jamal Atif, lors de l’Université d’été de la CPU
Invité à s’exprimer lors de l’université d’été de la CPU, à l’occasion de la table ronde consacrée à l’intelligence artificielle, Jamal Atif, professeur à l’université Paris-Dauphine et chargé de mission à l’INS2I CNRS, revient pour le site de la CPU sur les transformations sociétales induites par la montée de l’intelligence artificielle. Alors que l’Université est en première ligne pour accompagner ces évolutions, les formations doivent s’adapter. Jamal Atif dresse, dans l’entretien ci-dessous, plusieurs pistes.
CPU : Avec le développement de l’intelligence artificielle, un nombre important d’emploi est voué à se transformer. Comment les formations universitaires peuvent-elles se préparer à ce phénomène ?
Jamal Atif : Il est aujourd’hui difficile de quantifier le nombre d’emploi voué à disparaître avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle. Plusieurs études de cabinets spécialisés donnent des chiffres alarmants, mais on reste dans la prédiction. Je parlerais davantage de transformation de l’emploi liée à l’intelligence artificielle et au numérique en général. Et l’ensemble des usages, des emplois et de la société seront impactés par ce phénomène. L’automatisation des tâches va s’accélérer, ce qui peut être est une bonne chose car il s’agit le plus souvent de tâches fastidieuses. Cela permettra à chacun de libérer du temps pour faire des choses à plus forte valeur ajoutée, et donc plus intéressantes pour soi et pour la société.
Parmi les métiers qui seront très impactés par l’intelligence artificielle, je citerais la relation client, la banque, l’assurance, l’accueil à la personne, l’industrie avec la robotisation, mais aussi des métiers d’assistance aux fonctions juridiques, médicales, etc. Les métiers d’expertise, à haute valeur ajoutée, seront quant à eux probablement plus préservés.
L’important aujourd’hui est de se préparer à cette transformation. Il y a pour cela plusieurs actions à mener à mon sens :
– La formation tout au long de la vie est un enjeu important : il est primordial que les personnes déjà sur le marché de l’emploi se forment et s’adaptent à cette nouvelle donne ;
– Augmenter les effectifs d’étudiants formés à la science des données et à l’algorithmique : on observe aujourd’hui une pénurie de talents dans ce domaine. Cette pénurie est le fait d’un manque d’attractivité de ces parcours, due sans doute à une méconnaissance de ces derniers ;
– D’où l’importance aussi d’informer très tôt sur ces métiers-là : on peut travailler sur ce levier en informant les familles dès le lycée;
– Diversifier les profils : ces métiers attirent surtout des étudiants qui sortent de grandes écoles d’ingénieurs. Or, cela n’est pas suffisant. On a besoin d’une diversité de profils compte tenu de l’impact que cela va avoir sur la société. Je pense à une meilleure répartition sociale, régionale, mais aussi entre garçons et filles.
L’université a bien entendu un rôle prépondérant à jouer dans cette transformation. Elle doit repenser ses modules en y intégrant systématiquement la problématique des sciences des données et de l’intelligence artificielle.
La recherche française se situe au premier plan mondial concernant ses chercheurs en mathématiques, en informatique et en intelligence artificielle. Mais elle a du mal à transformer ses avancées scientifiques en applications industrielles et économiques. Comment transformer l’essai ?
Il faudrait sans doute avoir en France une culture de prise de risque plus grande. Nous avons la particularité d’avoir, dans notre pays, de très belles et nombreuses start-ups. Mais notre difficulté réside dans notre capacité à les faire grossir. Il faudrait, à mon sens, davantage accompagner leur développement et renforcer le lien avec le monde de la recherche.
Par ailleurs, l’Europe peut être un formidable levier. La banque publique d’investissement et le fonds d’investissement pour l’innovation de rupture sont de très bons outils au niveau étatique. Mais, il faudrait penser cela à l’échelle européenne pour résister à l‘hégémonie des mastodons américains et chinois.
Quelles mesures mettre en place pour augmenter le nombre d’étudiants formés dans les domaines de l’intelligence artificielle et féminiser ce secteur dans lequel les femmes ne représentent que 10 % des effectifs ?
Féminiser ce domaine et celui des mathématiques et de l’informatique en général est un véritable enjeu. En effet, le choix des données conditionne complètement les conclusions et les décisions suggérées par les algorithmes. Ainsi, si on intègre des données « genrées », la décision sera elle aussi « genrée ». Pour être pleinement prises en compte, les femmes doivent être actrices dans ce domaine. C’est une question d’éthique.
Pour augmenter le nombre d’étudiants en intelligence artificielle, il faut commencer à sensibiliser dès le lycée voire plus tôt. Il est important de faire comprendre aux élèves à quel point les algorithmes impactent leur vie quotidienne. Et il faut très tôt leur montrer les débouchés. L’informatique doit être enseignée, quant à elle, dès le primaire.
Par ailleurs, il est important de repenser les formations : on peut imaginer l’intégration dans les formations de modules de science de données ainsi que la mise en place de modules d’éthique.
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