Universités ultramarines : une mise en réseau au service d'une stratégie commune. L'interview de Frédéric Miranville.
Quelle est la spécificité des universités ultramarines ? Dans quelle mesure celles-ci évoluent-elles dans un écosystème différent de celui des universités de la métropole ?
A l’instar de l’Université de La Réunion par rapport à l’espace indianocéanique, les universités ultramarines ont en commun la particularité d’être les seules universités françaises et européennes de leur environnement territorial. Elles se développent dans des contextes le plus souvent insulaires et, en tout cas, toujours marqués par des spécificités.
La première d’entre elles est celle de la distance du territoire métropolitain qui fait reposer sur ces établissements une forte responsabilité vis-à-vis de leurs territoires et de leurs populations.
Le contexte insulaire peut aussi figurer une autre spécificité, qui, mise en regard d’une population souvent jeune et d’une croissance démographique dynamique, nécessite un ancrage territorial fort et une insertion plus marquée que dans l’hexagone dans le développement socio-économique local.
Enfin, leur positionnement au cœur d’axes économiques particuliers (comme l’axe Afrique-Asie pour l’université de La Réunion) constitue une troisième spécificité qui confère aux universités ultramarines un rôle majeur d’ambassadeur de l’enseignement supérieur et de la recherche française au sein de leurs périmètres géographiques respectifs.
Ces singularités ont longtemps été considérées comme des handicaps et ont conduit à des politiques de rattrapage. Aujourd’hui les enjeux sont tout autres. Il importe de changer de paradigme et de transformer ces spécificités en atouts. L’exemple de la recherche est à cet égard très significatif, au regard notamment des champs de recherche particuliers qui peuvent être investis dans nos outre-mer du fait de la géographie, du climat et de biodiversités exceptionnelles de nos territoires.
Quelle est la valeur ajoutée d’une stratégie commune des universités ultramarines ?
De par leur positionnement géostratégique sur l’ensemble du globe, les universités ultramarines constituent de remarquables bases avancées du modèle français et européen d’enseignement supérieur et de recherche. Cette valeur ajoutée commune plaide, tout comme les spécificités liées à l’éloignement du territoire national, en faveur de la mise en place d’un véritable réseau des universités ultramarines.
L’intérêt d’un tel réseau unissant nos universités est pluriel: il permettra non seulement de partager un diagnostic mais aussi d’échanger des bonnes pratiques, tout en nourrissant un terreau fertile à la recherche de solutions face aux problématiques nées de nos singularités.
Intimement convaincu de l’intérêt d’une telle démarche, j’attache une importance particulière à ce que le séminaire « Les outre-mer, terres d’union » qui nous rassemble en ces 5 et 6 juillet 2018 soit une opportunité pour nos universités ultramarines de poser les bases solides d’une nouvelle dynamique nous érigeant en référent incontournable de la CPU comme du ministère pour tous les textes législatifs et règlementaires ayant un impact local. L’enjeu est de faire bénéficier nos territoires d’une meilleure prise en compte de nos spécificités ultramarines.
Au-delà de la valeur ajoutée pour nos outre-mer, il importe de souligner combien l’échelon national et européen peut aussi être conforté par l’émergence d’un réseau des universités ultramarines. Chacun de nos établissements a le potentiel d’un véritable hub pour le rayonnement de l’ensemble des universités françaises dans leurs zones d’influence respectives.
Notre capacité à répondre à de grands appels à projets à portée internationale sur des thématiques de recherche telles que la biodiversité sera ainsi décuplée.
La mise en synergie de nos universités constitue incontestablement une piste d’avenir, ouvrant la voie à de nouvelles expérimentations en environnement insulaire ou confiné.
Attaché à l’ancrage territorial et au rayonnement international de l’Université de La Réunion, je ne manquerai pas d’apporter ma pierre à l’édifice.
Dans le programme du séminaire « Les Outre-mer, terres d’union », pourquoi une table ronde spécifique sur les enjeux du numérique ?
La mise en place de cette table ronde s’impose comme une évidence et une nécessité dans un contexte marqué par tous les bouleversements engendrés par le numérique dans la société en général comme dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Le numérique transforme significativement le champ des possibles que ce soit au travers de la dématérialisation de l’information qu’il autorise, ou encore l’accès en temps réel à l’information qu’il offre, sans oublier la capacité extraordinaire de mémorisation (grâce au stockage) et donc l’affranchissement des contraintes de temps et d’espace qui en découle.
Une information peut maintenant être produite et offerte en accès de n’importe où et à n’importe quel moment. Les modes de vie actuels ont largement intégré cette évolution, si bien que les besoins de la société actuelle ont eux aussi évolué, notamment en termes de formation et de collaboration pour la recherche.
De nos jours, l’échelle en matière de collaboration et de liens n’est plus uniquement celle d’un territoire mais bien celle de la planète. Dans ce contexte, l’université française, et à plus forte raison, les universités ultramarines, ont un rôle primordial à jouer en la matière.
Au sein de nos universités, la transformation numérique offre de nombreux atouts comme l’abolition des distances géographiques des lieux d’apprentissage, une meilleure accessibilité des contenus pédagogiques et des données sans oublier la valeur économique des activités et externalités positives des universités.
Cependant de nombreuses questions se posent encore aussi bien liées à des aspects stratégiques : quelles offres de formation pour quel public ? Quel réseau de partenaires pour faire vivre ces offres ? Quelle répartition de l’activité entre les différents acteurs ? quid des aspects opérationnels : comment gérer la diversité culturelle, les décalages horaires, la disparité de la qualité de service de l’infrastructure technique selon les pays, … ? Pour répondre à ces questions, les territoires ultra-marins et leurs universités disposent de caractéristiques propres de par leurs localisations, leurs zones d’influence, leurs infrastructures techniques, leurs capacités d’adaptation, … qui en font des lieux d’expérimentation privilégiés et d’essaimage potentiel.
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