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Psychiatrie : les droits des usagers sont-ils appliqués ?

France Universités : date de publication

    Les plaintes et demandes des patients des unités de psychiatrie sont-ils toujours entendus et pris en considération ? Pour y voir plus clair, il faut d’abord analyser en détail et sur le terrain quelles sont les pratiques.

    Les personnes en situation de handicap ont des droits, mais peuvent-elles toujours les exercer ? Les lois ont beaucoup évolué depuis le début des années 2000, elles insistent sur l’importance de replacer l’usager au centre, l’égalité des droits, la possibilité pour les personnes handicapées de jouir de l’intégralité de leurs droits, de participer à la vie sociale et politique…. Mais concrètement, ces droits sont-ils effectifs ?

    Des contraintes plus présentes en santé mentale

    Cette question se pose d’autant plus dans le cas de la psychiatrie, et plus généralement de la santé mentale. « C’est plus difficile qu’ailleurs, observe Emmanuelle Fillion, enseignante-chercheuse à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) et membre du laboratoire ARENES (Université de Rennes 1/EHESP/CNRS). La législation prévoit certaines dérogations pour limiter ces droits, par exemple l’hospitalisation sous contrainte, ou les soins sans consentement. La capacité de jugement de ces usagers est remise en cause, voire considérée comme un symptôme du trouble psychiatrique. » Certains ont également des difficultés à s’exprimer, moins de ressources sociales…

    Le droit de vote des personnes sous tutelle constitue un exemple frappant : depuis peu, elles peuvent voter sans l’accord d’un juge, mais concrètement, dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, rares sont ceux qui se posent la question du vote des usagers et de leur participation à la vie politique. Le droit existe en théorie, mais pas dans les faits.

    Enquête qualitative

    Pour étudier cette question de l’effectivité des droits, Emmanuelle Fillion dirige actuellement une enquête qualitative sur la base d’observation dans les services de psychiatrie, et d’entretiens avec le personnel et les usagers. Ces études n’ont pas vocation à être représentatives de l’ensemble de la psychiatrie, mais à observer finement les pratiques d’un service pour identifier des situations complexes et les analyser. Les entretiens et observations ont été menés en prenant en compte des questions éthiques particulièrement importantes pour ces usagers vulnérables, dont la capacité à consentir est parfois altérée, et qui peuvent avoir des difficultés à s’exprimer lors de crise… « Nous avons monté un comité de suivi éthique pour réfléchir tout au long de la recherche aux questions éthiques posées par notre enquête », souligne la chercheuse.

    L’enquête est en cours, mais dresse déjà quelques premiers constats. Tout d’abord, « les critiques et les plaintes forment un bruit de fond omniprésent, très actif », observe Emmanuelle Fillion. Autre constat : très peu de plaintes suivent les circuits officiels du service qualité, du service juridique, ou des agences de santé. Le circuit des critiques et revendications n’est pas simple. D’autant que ces dernières peuvent provenir des usagers ou de leur famille… qui n’ont pas toujours les mêmes objectifs. « Par exemple, les familles demandent davantage de protection, tandis que les usagers réclament souvent plus de liberté », note Emmanuelle Fillion. Les professionnels doivent donc faire face à des demandes parfois contradictoires.

    Loi très générale

    Les réponses apportées par l’institution n’obéissent pas à des règles constantes. La loi est en effet trop générale dans sa rédaction pour que son application en situation soit évidente. « La loi donne des règles générales et désincarnées, analyse Emmanuelle Fillion. Par exemple, lorsqu’elle indique que « la restriction de liberté d’aller et venir doit être proportionnée », cela n’aide pas l’infirmière de nuit lorsqu’elle doit faire face à un usager qui se lève la nuit, erre dans le service et réveille les autres. La restriction de sa liberté est-elle proportionnée ? ».

    Seule une enquête « ethnographique », au plus près des acteurs permet de comprendre la manière dont les critiques des usagers sont prises en compte. Voir les pratiques concrètes est fondamental pour aider les autorités à prendre des décisions, afin de créer l’accompagnement adapté pour que les gens puissent jouir de leurs droits. L’équipe ne donne pas elle-même de préconisations pour les établissements au terme de sa recherche. « L’étude est avant tout un état des lieux sur des terrains précis sans même prétendre à la représentativité, souligne Emmanuelle Fillion. Mais sur la base de ces savoirs, on peut créer des lieux de débats et de réflexion collective sur les moyens de favoriser l’expression des usagers et sur cette base élaborer des recommandations. Il faut bien-sûr y associer largement les personnes concernées. » Attention cependant à ne pas imposer des solutions qui peuvent rapidement devenir des « coquilles vides » : la création de nouvelles normes n’absorbera jamais la question de l’effectivité des droits prescrits.

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