Discours

" Nous demandons une véritable politique universitaire en France ". Guillaume Gellé

France Universités : date de publication

    Retrouvez ci-dessous le discours de Guillaume Gellé prononcé lors du Congrès 2023 de France Universités.

    Madame la ministre, Chère Sylvie

    Mesdames et Messieurs les élus,

    Chers collègues,

    Chers amis,

    Mesdames et Messieurs,

    Voilà, notre Congrès 2023 s’achève…

    1) J’espère que la journée de débats a répondu à vos attentes, et je les sais nombreuses à la veille d’une rentrée qui s’annonce complexe, particulièrement en raison de l’inflation et de l’impact social qu’elle génère sur le coût des études.

    Les questions que cette journée a soulevées nous invitent, je crois, non seulement à poursuivre nos réflexions, mais aussi à nous positionner et à agir pour défendre nos missions, notre modèle d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation.

    Nous le devons à notre jeunesse. Nous le devons à notre pays.

    Nous sommes confortés dans l’idée que, non seulement les universités sont bien au cœur des grands sujets qui préoccupent les décideurs publics et privés et les citoyens, mais qu’elles en sont des actrices incontournables, du niveau local à l’international, sur lesquelles il faut compter !

    Je retiens des tables rondes et des interventions, et j’en remercie les intervenants, la nécessité de briser les frontières. Qu’il s’agisse des frontières nationales, sociales ou disciplinaires.

    Frontières nationales, tout d’abord. La souveraineté scientifique de la France doit être renforcée, ce qui suppose un engagement des pouvoirs publics, preuve de la confiance qu’ils nous accordent. Mais cette souveraineté ne peut se déployer sans la souveraineté européenne, seule capable de peser dans la concurrence mondialisée, celle des États-Unis, celle de la Chine, mais aussi, de plus en plus, d’autres grands pays. La diplomatie scientifique, la géopolitique des connaissances passent de toute évidence par nos établissements, universités et écoles.

    Je rappelle, par ailleurs, notre attachement à la tradition d’ouverture de la France en matière d’accueil des étudiantes et étudiants internationaux. Le plan « Bienvenue en France », lancé en 2019, vise à accueillir un demi-million d’étudiants étrangers d’ici à 2027. Il faut s’y tenir. La France se situe à la 7e place mondiale dans ce domaine, très loin derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne, alors qu’elle était encore le 3e pays d’accueil il y a dix ans. Freiner l’ambition de celles et ceux qui veulent se former en France, c’est fragiliser la compétitivité et l’excellence scientifique françaises.

    À cet égard, nous nous félicitons de constater que notre pays occupe toujours la 3e place en matière d’accueil de doctorants en mobilité internationale, qui représentent 40 % du total des thèses en cours. Nous ne pouvons pas faire sans eux, tant l’enjeu du recrutement d’enseignants-chercheurs et de chercheurs à hauteur des besoins, est immense d’ici 2030.

    Vous l’avez compris, France Universités, tout comme la CDEFI, dont je salue le président, cher Emmanuel, souhaite que notre nation redevienne la première puissance de l’Union européenne pour l’accueil des étudiants et chercheurs internationaux.

    Frontières sociales, ensuite. Nos établissements doivent se voir accorder les moyens, notamment financiers, pour continuer de permettre à celles et ceux qui souhaitent apprendre, chercher, découvrir, partager et mettre en application leur savoir, de pouvoir le faire. Quels que soient leur territoire de vie, leur situation, leur parcours. Dans notre économie en mutation rapide, c’est un choix politique ! Or, en 10 ans, les universités ont vu leur effectif étudiant s’accroître de près de 20 %, sans que les moyens accordés en retour soient suffisants. Il ne s’agit évidemment pas de soutenir que tout titulaire d’un bac général, technologique ou professionnel a vocation à s’inscrire à l’université à sa discrétion, mais de lui assurer, sur le fondement d’une orientation bien comprise, une poursuite, ou une reprise d’études porteuse de compétences pertinentes et donc d’insertion.

    Autre exemple : celui de la féminisation et plus globalement de la dynamique de mixité entre les femmes et les hommes dans les formations et les métiers. Cette mixité est à la fois un but et un levier de progrès. Dans les projets qui démarrent actuellement, nous participons par exemple, avec la Fondation Inria, à l’objectif « 100 000 femmes dans la Tech », impulsé par la Première ministre. C’est un exemple parmi beaucoup d’autres.

    Et l’ambition de la mixité ne peut être traitée indépendamment du combat contre les violences sexistes et sexuelles : il ne suffit pas de dire aux jeunes femmes « osez, surmontez les obstacles » … Non. L’enjeu est, pour nous, de construire un environnement d’études et de travail accueillant et respectueux. Nous nous y efforçons même si nous pouvons toujours faire mieux.

    S’agissant, enfin, de rompre avec les cloisonnements disciplinaires, l’exemple de l’IA, pour ne citer que lui, est particulièrement éclairant. Nous devons prendre part aux réflexions sur l’éthique, par exemple. C’est l’un des grands chantiers que déploie aujourd’hui l’Unesco et nous n’entendons pas rester en dehors. C’est pourquoi des travaux en pluridisciplinarité, entre les sciences du numérique, la santé, les sciences sociales, les mathématiques, notamment, sont indispensables.

    Un autre exemple illustrant la nécessité de casser les silos disciplinaires, c’est celui des besoins en nouvelles compétences dans les métiers émergents, sur nos territoires : énergies vertes, biomédical, santé numérique, les secteurs sont nombreux. Pas de nouvelles formations, ni en IA pour rester sur cet exemple, ni dans d’autres domaines, sans y inclure les enjeux de transition écologique et climatique. Nous avons des générations d’étudiants mais aussi d’enseignants, de la maternelle au supérieur, à former pour qu’ils et elles puissent appréhender des sujets complexes.

    Bien sûr, il faut du temps et de la confiance pour monter et certifier des formations de qualité. (c’est la force du service public que d’y être attentif ! Vous connaissez les débats actuels… Cela nous renvoie encore aux moyens !). Alors gardons ce cap : les employeurs tout autant que les jeunes, sans oublier les salariés en reconversion, nous attendent et nous sommes, notamment, largement engagés dans les appels à projets CMA portés par le SGPI. Là encore, la formation, par la recherche interdisciplinaire, est un atout irremplaçable.

    2) Mesdames et Messieurs, nous sommes justement à la veille d’une nouvelle rentrée universitaire.
    C’est à notre jeunesse que je pense avant tout.
    Comme chaque année, et c’est sans doute encore plus vrai depuis la pandémie, les difficultés vécues par un nombre beaucoup trop grand d’étudiantes et d’étudiants font les gros titres de l’actualité. Or, on ne peut pas bien étudier si les conditions matérielles ne sont pas réunies. Beaucoup ont du mal à se loger, à se soigner, voire à se nourrir. Ce n’est pas acceptable, ce n’est plus accepté. Là aussi, nous prenons nos responsabilités et nous devons, sans aucun doute, faire davantage encore.

    Il s’agit, plus largement, de poursuivre le travail que vous avez engagé, Madame la ministre, sur la réforme des aides sociales. Des ajustements importants sont déjà opérés mais le temps est désormais venu de réformes structurelles pour lesquelles nous saurons travailler à ses côtés. Cette étape devra aller au-delà du simple paramétrage et de la simplification administrative pour donner lieu à une véritable refonte du système, qui nous semble plus que nécessaire. Pour les jeunes, accès à l’autonomie et protection vont de pair.

    La rentrée, c’est aussi l’occasion de s’interroger sur la question de la réussite. Celle-ci est indissociable de l’orientation et donc de la bonne information donnée aux lycéennes et lycéens, qui construisent leur projet d’études.

    C’est aussi un enjeu d’efficacité pour nos établissements lors de l’examen des candidatures pour l’inscription en première année. Nous serons présents, comme nous l’avons été au sein du comité de suivi de la réforme du lycée général et technologique, pour discuter des éventuelles améliorations du dispositif et du calendrier, comme nous le sommes depuis le début de Parcoursup.

    L’université attend des lycéennes et lycéens pleinement formés, à leur meilleur niveau, pour garantir leur réussite.

    Autre nouveauté majeure cette année, que nous appelions aussi de nos vœux : la plateforme Mon Master. La procédure mise en place montre qu’il est possible de simplifier d’optimiser le processus ! Nous sommes attachés à la qualité et au caractère sélectif des Masters, dont les enquêtes successives montrent un très bon taux d’insertion des diplômés (90 %), à des niveaux de qualification et de salaire correspondant parfaitement aux compétences d’un Bac+5.

    Ce qui ne nous empêche pas de continuer à travailler à l’employabilité des diplômés de Licence qui n’ont pas tous ni vocation, ni le projet de poursuivre leurs études : eux aussi possèdent des savoirs et savoir-faire dont le monde du travail a, et aura, besoin. Tous les diplômes universitaires sont professionnalisants. La formation par la recherche permet une adaptation à des contextes professionnels mouvants.

    Alors bien sûr, il faut former des ingénieurs pour faire face aux besoins en compétences dans les nouveaux secteurs industriels et technologiques. Ce discours est légitime… Mais il ne faut pas s’en tenir là… Je rappelle du reste que la moitié des écoles d’ingénieurs en France sont dans les universités. Cependant, il faut aussi former des Bac +1, des Bac + 3, +5, +8, sans oublier les BUT, les DU et les diplômes paramédicaux, avec des compétences immédiatement transférables en matière d’emploi. Bien souvent l’apprentissage est un atout dont nous avons su nous saisir.  

    Un autre sujet d’actualité, en cette rentrée, vous le savez, c’est la performance de notre recherche. J’ai parlé tout à l’heure de notre souveraineté scientifique. Je rappelle que nos établissements ont fait des efforts quand il le fallait, année après année, pour répondre aux grands objectifs de performance comme de réduction des dépenses publiques. Mais force est de constater que notre environnement manque de stabilité sur le plan financier et d’une vision pluriannuelle. Cela ne permet pas de travailler dans un climat serein, de se projeter au-delà du court terme.

    Le déséquilibre entre les financements par projets et les financements pérennes de la recherche fondamentale a atteint ses limites. Il épuise et décourage les équipes.

    De plus, en dix ans, le nombre de recrutements de titulaires a chuté de près de moitié : un paradoxe à l’heure où les départs à la retraite se multiplient. La question des transitions se joue là aussi ! La recherche française décrochera au niveau mondial si la barre n’est pas redressée. L’état doit affirmer sa confiance aux universités et le traduire dans les faits.

    Outre les moyens, nous attendons des avancées concernant la simplification des procédures, qui sont une autre marque de la confiance que l’on nous accorde.

    Concernant les suites données au rapport Gillet, celui-ci fait aussi le constat d’une forte complexification à tous les niveaux des conditions d’exercice de la recherche. France Universités, comme elle l’a déjà exprimé, participe de manière constructive aux concertations en vue d’une application des arbitrages retenus. Bien que le rapport Gillet traite peu de la question du rôle des universités alors que celles-ci se sont notablement réorganisées depuis 15 ans, il me semble important de rappeler que ce rôle, alors qu’elles sont les premières opératrices de la recherche publique en France, doit être clair : c’est celui de chef de file des politiques de site, incluant la coordination des moyens et la mise en œuvre d’une stratégie concertée.

    Un autre outil est en cours de déploiement : celui des Contrats d’objectifs, de moyens et de performance. Nous en avons défendu le principe même et espérons qu’ils couvriront à terme l’ensemble des activités de l’établissement, leur donnant de véritables perspectives pluriannuelles… Leur vocation est d’être à la fois un instrument de gestion et un instrument politique, qui s’enrichissent l’un l’autre. Bien sûr, c’est aux établissements de s’en emparer. Mais il faut aussi, si vous me permettez cette expression, « lâcher du lest » du côté de la tutelle… ce qui, donc, suppose de fluidifier les procédures, de ne pas réintroduire du contrôle par la petite porte, de nous laisser déployer notre vision de long terme (qui lie étroitement recherche, innovation et formation) et, donc, de considérer que la diversité de nos universités est une richesse. Nos établissements sont autonomes, ils sont donc responsables et régulièrement évalués dans cet esprit.

    3) J’en viens au troisième et dernier point que je souhaite évoquer aujourd’hui, Mesdames et Messieurs : celui des perspectives pour France Universités.

    Notre cap, depuis notre Congrès fondateur de janvier 2022, est resté le même : en tant que corps intermédiaire, nous nous plaçons au cœur des débats de société et entendons peser dans les projets interministériels et le débat public.

    Qu’il s’agisse, cette année, du projet de loi « Industrie verte », du projet de loi sur la Justice, du processus d’universitarisation des formations en santé et de la lutte contre les déserts médicaux, de la feuille de route sur la pratique sportive des jeunes, du déploiement des formations aux transitions, ou encore de la mise en place du dispositif « Services publics + », pour ne citer que quelques exemples, nous avons répondu présents.

    Si nous devions dégager un fil rouge dans le travail de plaidoyer que nous avons mené ces derniers mois et que nous allons poursuivre, je dirais que la défense du doctorat et des docteurs figure en bonne place.

    Nous déplorons une baisse des inscriptions en doctorat en 2022, en particulier en mathématiques et en chimie et science des matériaux. Nos métiers n’attirent plus alors qu’il faudra remplacer plus de 50% de nos enseignants-chercheurs d’ici 2030.

    Par ailleurs, le doctorat, qui constitue le plus haut diplôme universitaire, demeure insuffisamment valorisé dans le monde du travail et la société, contrairement à la situation allemande, britannique ou nord-américaine. Des leviers existent… Favoriser l’embauche de docteurs dans la sphère économique et valoriser ce diplôme dans les concours de la haute fonction publique permettront d’enclencher une mutation culturelle, pour autant que la détermination soit sans faille et qu’aucun projet de loi ne vienne la démentir.

    Nous avons progressé sur la durée moyenne des thèses, nous devons continuer à travailler sur leur financement, particulièrement sur la diversification de ces financements, publics ou privés.

    Outre les contrats CIFRE, qui pourraient utilement se multiplier, l’État doit montrer l’exemple et recruter en 2023 la centaine de doctorants prévue, dans le cadre du dispositif de Conventions de formation par la recherche en administration (COFRA).

    Nous demandons une véritable politique universitaire en France. Cela devrait même être une priorité. Nous nous inscrivons, je l’ai dit, dans un environnement international concurrentiel. Sur les grands défis mondiaux, nous devons être présents, accompagner les priorités stratégiques de nos membres, être un facilitateur.

    Nous devons, plus globalement, prendre toute notre place à l’international… La science et l’éducation jouent un rôle majeur en matière d’influence. Le travail engagé avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, à travers la mission confiée à Jean-Francois Huchet, les enjeux autour de l’espace francophone, l’investissement de nos établissements dans les comités mixtes y contribuent… et ce n’est qu’un début !

    Les élections européennes de l’an prochain et le prochain programme-cadre sont une opportunité d’exprimer à nouveau nos positions, les faire connaître et les défendre. Le travail engagé avec les autres conférences de recteurs européennes et l’EUA, et notre place dans les alliances seront des atouts. J’en profite pour saluer les étudiantes et étudiants européens présents sur scène cet après-midi !

    L’excellence académique, c’est aussi tenir les objectifs de démocratisation du savoir, de diversification des compétences, d’ouverture sur la société ; défendre sans relâche les libertés académiques. Et parce qu’il n’y a pas d’excellence sans exemplarité, nous devons prendre toute notre place dans la réponse aux défis climatiques et environnementaux… Nous attendons toujours un plan ambitieux de financement de la rénovation et de la décarbonation des campus. Je rappelle que nous représentons 20 % du patrimoine immobilier de l’État …

    Pour conclure, Mesdames et Messieurs, il me semble important d’insister sur le fait que l’Enseignement supérieur, la Recherche et l’Innovation doivent être considérés comme un investissement, au bénéfice des jeunes, bien sûr, mais aussi des personnes en reconversion, au bénéfice aussi de la performance économique de la France et de son attractivité. Les attentes de notre communauté à l’égard d’une perspective pluriannuelle de budgétisation, sincère, hors LPR et France 2030, sont bien légitimes.

    J’en ai enfin termine !

    Merci à l’Institut du Monde Arabe et à Jack Lang pour leur accueil,

    Merci à toutes et à tous, intervenants, grands témoins, public, de nous avoir fait l’honneur et le plaisir d’être parmi nous.

    Un grand merci à nos partenaires.

    Je vous souhaite, pour terminer, le meilleur pour cette nouvelle année universitaire et une excellence soirée !

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