« J’appelle de mes vœux la généralisation du PEEC 2030 dans le plan de relance » : l’interview d’Annick Allaigre
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« J’appelle de mes vœux la généralisation du PEEC 2030 dans le plan de relance » : l’interview d’Annick Allaigre

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    Les mutations environnementales et sociétales étaient déjà largement en œuvre dans les universités : la crise sanitaire a montré le besoin de les accélérer. Pour Annick Allaigre, présidente de l’Université Paris 8 et co-présidente du comité Transition écologique et énergétique de la CPU, l’Université joue un rôle phare dans ces transitions à travers la formation et la recherche, mais aussi par l’exemplarité dont doit faire preuve et par son action au cœur même des territoires. Avec leurs 18 millions de mètres carrés, les universités montrent la voix pour réhabiliter le foncier de l’Etat : elles doivent monter en compétence et améliorer leur parc immobilier. Annick Allaigre en appelle à la mobilisation des pouvoirs publics.

    Enfin, alors que se construit le plan de relance de septembre prochain, des dispositifs tels que le plan d’efficacité énergétique des campus 2030 et le label DDRS, à la fois structurants et transversaux, doivent y tenir une place de choix. 

    Annick Allaigre répond aux questions de la CPU, en illustrant ses propos d’exemples concrets puisés à l’Université Paris 8.  

     

    CPU : En quoi les universités jouent-elles un rôle moteur dans les mutations environnementales et sociétales de notre pays ?

    Annick Allaigre : Pour jouer un rôle phare dans ces mutations, les universités activent plusieurs leviers :

    La formation d’abord : c’est à travers les enseignements que les universités peuvent toucher les étudiants, les sensibiliser aux questions environnementales et sociétales et leur donner des clés pour mettre à profit ces savoirs dans leur vie professionnelle. A l’Université Paris 8, nous labellisons des enseignements qui s’inscrivent dans le cadre des transitions environnementales et sociétales. Ces dispositifs ad-hoc, transversaux, sont intégrés dans les maquettes de formation. Nous accompagnons les initiatives des collègues regroupées sous l’expression « Université de la Terre » qui propose une réflexion sur les mutations actuelles ou encore une formation autour des ruchers installés sur le campus. Dans un établissement de Sciences humaines et sociales, il est aussi possible d’adopter des pédagogies écoresponsables en valorisant les compétences douces et transversales. Cela induit une autre relation au savoir où l’apprenant est au cœur de l’apprentissage. 

    La recherche ensuite : dans toutes les universités, la recherche donne des pistes pour mieux aborder les problèmes liés au réchauffement climatique, et propose des solutions concrètes pour atténuer et s’adapter aux effets des mutations environnementales. Réflexion et solutions sont les deux maîtres mots qui nous guident.

    L’exemplarité : les universités doivent être exemplaires en matière de développement durable dans leur fonctionnement et dans leur gouvernance. Les universités ont le pouvoir sur certains investissements. Par exemple elles peuvent orienter leur politique d’achat, et y intégrer des causes environnementales ou sociétales. A Paris 8, par exemple, nous avons conçu un schéma directeur énergie-eau pour réduire d’un tiers la consommation des fluides d’ici 5 ans et pour lequel nous venons d’obtenir un financement. L’exemplarité est importante si nous voulons mobiliser nos étudiants et la communauté universitaire dans son ensemble. A cette fin, nous lançons un « contrat écologique » qui permettra de fédérer les initiatives et de créer un cercle vertueux. 

    Une action au cœur même des territoires : en tant qu’actrices du territoire sur lequel elles sont implantées, les universités peuvent aussi agir. L’Université Paris 8, par exemple, se situe en Seine-Saint-Denis : c’est un département dynamique et jeune mais qui présente aussi de grandes fragilités. Notre université entend répondre aux besoins du territoire et assurer la promotion sociale de la population. A titre d’exemple, nous avons expérimenté il y a un an un centre numérique d’innovation sociale, le « centre Source », situé à Aubervilliers, à côté du campus Condorcet : il contient un incubateur tourné vers l’économie sociale et solidaire qui permet à l’ensemble des acteurs du territoire (entreprises, collectivités, associations) de travailler ensemble et de trouver en commun des réponses aux besoins du département. On y a, par exemple, réalisé des visières avec les imprimantes 3D pendant la crise du Covid 19.  

     

    Avec plus de 18 millions de mètres carrés, les universités représentent un tiers du patrimoine immobilier de l’Etat. Pensez-vous que la réhabilitation du foncier universitaire doit figurer en bonne place dans le plan de relance de la France ? 

    Bien entendu. Depuis 15 ans, les universités sont montées en compétence dans la gestion et l’amélioration de leur parc immobilier. Aujourd’hui, elles doivent réhabiliter des parcs souvent anciens. Il s’agit de procéder à des optimisations et à des améliorations fonctionnelles pour rendre un meilleur service aux étudiants, pour être plus adapté aux nouvelles pédagogies, et pour garantir un fonctionnement exemplaire du point de vue de la transition écologique et sociale.

    La CPU a estimé à hauteur de 7 Mds €  les besoins pour la rénovation de l’ensemble du parc immobilier universitaire. C’est un enjeu qui va au-delà de la simple réhabilitation : la rénovation nous ouvre les portes d’un monde plus vertueux, dans lequel le patrimoine serait en adéquation avec la préservation de l’environnement que nous souhaitons. A Paris 8, par exemple, le bâtiment originel construit il y a 40 ans est extrêmement dégradé. Nous procédons à sa réhabilitation en plusieurs étapes, pour en faire un bâtiment éco-construit, afin notamment d’en améliorer la performance énergétique ce qui permettra de réaliser des économies importante et engager, de manière concrète, l’Université dans la transition écologique.

    Par ailleurs, il est nécessaire que les locaux soient adaptés aux nouveaux usages et aux nouvelles pratiques pédagogiques, avec davantage de modularité : nous devons tendre vers des salles de cours petites, mieux adaptées aux enseignements spécifiques, notamment artistiques. Et le numérique fait partie intégrante de cette réhabilitation, ce qui constitue un véritable défi puisque le numérique n’est pas en soi écologique.

     

    En quoi le plan d’efficacité énergétique des campus 2030 (PEEC 2030) de la CPU peut-il représenter un réel levier pour ce plan de relance ?

    Le PEEC 2030 s’intègre totalement au plan de relance puisqu’il n’est pas centré seulement sur la performance énergétique, mais qu’il traite la problématique énergétique de manière transversale. Citons outre l’amélioration de la performance énergétique, la gestion durable du patrimoine, les nouveaux usages des locaux, de meilleures conditions de travail. En donnant des clés aux universités pour gaspiller moins, le PEEC 2030 permet des économies et des retours sur investissement relativement rapides.

    Jusqu’à présent, 10 universités se sont engagées dans la phase pilote du PEEC. Ce plan a été testé, amélioré, et aujourd’hui, constitue une base solide, qui pourrait être mise en œuvre dans l’ensemble des universités. J’appelle de mes vœux la généralisation du PEEC 2030 dans le plan de relance.

    Le PEEC pourrait aussi proposer la mise en place de projets partagés, dans lesquels l’ensemble de la communauté universitaire aurait la possibilité de s’engager. Créer du commun me paraît fondamental : quand chacun peut contribuer, à sa mesure, à l’amélioration de l’environnement, les sensibilités sont accrues et les énergies décuplées. Nous sommes très soucieux, à Paris 8, de créer ce genre de synergies. Nous avons, par exemple, développé un plan de tiers lieux sur l’ensemble du campus, en collaboration avec les étudiants volontaires dont l’engagement est reconnu à travers l’octroi de crédits ECTS. Les étudiants sont très demandeurs d’espaces de travail sur mesure et confortables. Et nous envisageons de faire la même chose autour des espaces extérieurs et espaces verts.

     

    Dans quelle mesure les outils et dispositifs développés avec le soutien de la CPU, comme le label DDRS, sont-ils un levier pour engager la transformation écologique du bâti universitaire ?

    En tant que co-présidente, avec Jean-Marc Ogier, du comité de la Transition écologique et énergétique de la CPU, je suis extrêmement favorable à ce label structurant pour les universités. Celui-ci permet de fédérer des initiatives pilotes et expérimentales pour ceux qui souhaitent innover et ainsi penser les pratiques de demain. La force de ce label, c’est de ne pas réduire la transition écologique à l’une de ses dimensions, comme celle, par exemple, du patrimoine. Il intègre aussi des questions de gouvernance, de formation, de recherche, de politique sociale, d’ancrage territoriale, de performance énergétique… Et c’est cela qui m’intéresse : comment à travers l’amélioration du bâti, on peut intégrer d’autres dimensions ?

    Nous devons aujourd’hui mettre toutes nos forces dans les transitions environnementales et sociétales. Nous ne pouvons plus attendre. Et la crise sanitaire n’a fait que renforcer une prise de conscience qui est de plus en plus vive. Les étudiants sont en attente d’un soutien à leurs projets, qu’ils portent à leur manière et nous devons les accompagner. La prise de conscience et l’envie sont là : nous avons besoin à présent de moyens. Gageons que le plan de relance y pourvoira !

     

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