[Initiative] One Health, une réponse transdisciplinaire dans un contexte de changement global
La crise sanitaire induite par le coronavirus SARS-Cov-2 a mis en lumière le besoin de s’approprier pleinement le concept One Health pour se prémunir et le cas échéant lutter contre les pandémies ; une appropriation qui passe par un important changement de paradigme basé sur le développement d’études transdisciplinaires à l’interface entre santé humaine, santé animale et santé environnementale. Eclairage sur l’initiative par le groupe Inter-Alliances (GIA) Environnement-Santé d’AllEnvi.
One Health : de quoi parle-t-on ?
En 2018, à l’occasion des 10 ans du concept One Health, un collectif de 14 scientifiques issus des universités de Montpellier, Perpignan, La Réunion, Lyon, Bourgogne Franche-Comté, Strasbourg, EPH et Institut Universitaire de France et d’organismes de recherche (CIRAD, CNRS, Ifremer, INRA, Inserm, IRD), ont signé un article dans la revue « Frontiers in Veterinary Sciences » dans lequel ils prônaient, face à un risque de pandémie de plus en plus critique, une disparition des barrières entre médecine humaine, médecine vétérinaire et les sciences de l’écologie, de l’évolution et de l’environnement. Deux ans après, le SARS-cov-2 responsable d’une pandémie d’ampleur mondiale en 2020 nous rappelle l’urgence de cette impérieuse nécessité.
Si l’approche One Health est officiellement lancée en 2008 avec le rapprochement de 3 agences internationales que sont l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), et l’agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), le concept est plus ancien, son apparition datant de 1984. One Health ambitionne le rapprochement des questionnements et des méthodes de la santé humaine, de la santé animale et de la santé environnementale. C’est ainsi que sont apparus de nouveaux sujets de recherche autour notamment de la toxicologie et de l’écotoxicologie d’une part, et des maladies infectieuses d’autre part. Pour autant, malgré quelques études importantes à l’image des travaux présentés ci-après, le concept de One Health peine à s’imposer et à dépasser les barrières entre les disciplines.
Un exemple d’étude transdisciplinaire
L’émergence de nouveaux pathogènes peut être accélérée par les changements globaux, et favoriser les sauts d’hôtes. Ainsi l’émergence emblématique du SARS-Cov-2 a conduit à une pandémie dont l’origine animale est aujourd’hui renseignée.
Un autre cas emblématique d’émergence au cours de ces dix dernières années est celui de la bilharziose, maladie endémique des zones tropicales et inter-tropicales, récemment apparue sur le continent européen. Des épisodes d’infestations humaines en Corse ont ainsi alerté les autorités de santé entre 2013 et 2019.
Cette maladie est causée par des vers parasites transmis dans des eaux douces infestées par un hôte intermédiaire gastéropode présent dans les rivières de Corse du Sud. L’analyse génétique du parasite apparu en Corse a été réalisée à l’Université de Perpignan par les membres du laboratoire Interactions Hôtes-Pathogènes-Environnements (IHPE, UM5244 CNRS, Ifremer, UM, UPVD). Celle-ci a révélé une hybridation entre Schistosoma haematobium, agent de la schistosomiase uro-génitale chez l’Homme et Schistosoma bovis, parasite du bétail. Cet hybride, dont l’origine africaine a pu être démontrée, se serait implanté en Europe au travers des mouvements de populations humaines.
Une approche multidisciplinaire répondant aux critères de One Health, associant écologues, vétérinaires et médecins, a été mise en œuvre afin de comprendre où, quand et pourquoi le pathogène circule.
Côté environnemental, une cartographie du parasite et de son hôte intermédiaire a ainsi été réalisée par les écologues, qui se sont également penchés sur la capacité de ce pathogène à résister aux faibles températures hivernales en Europe ainsi qu’au possible rôle réservoir des rongeurs. Le rôle épidémiologique des espèces d’élevage (vaches, chèvres et moutons) a été suivi par les équipes vétérinaires qui ont mené une large campagne de dépistage avec plus de 3 500 animaux testés. Enfin, pour le suivi de la santé humaine, les équipes de médecins et biologistes se sont focalisés sur les problèmes de diagnostic. Ils ont montré que les tests classiques étaient insuffisamment efficaces sur les patients infectés par des parasites hybrides.
En collaboration avec des industriels, un nouveau test a été développé pour améliorer la sensibilité des tests sérologiques. Récemment en se penchant sur des hybrides de S. bovis et S. haematobium infestant les bovins domestiques au Bénin, les membres du laboratoire IHPE ont pu mettre en évidence un effet de l’hybridation sur la chronobiologie des vers parasites et le possible élargissement de leur spectre d’hôtes. Les conséquences sur l’épidémiologie de la maladie, la transmission à l’Homme et le contrôle de la maladie sont très importantes.
One Health – une réponse à des enjeux planétaires
Il ne fait plus de doute aujourd’hui que la prise en compte des grands enjeux de santé ne pourra se faire qu’au travers d’approches globales réunissant autour d’une même question des chercheurs de champs disciplinaires différents ayant trop longtemps évolué séparément. Ainsi la rencontre des sciences médicales, des sciences de l’écologie et de l’évolution et des sciences agronomiques est devenue incontournable. De même, la place des sciences humaines, économiques et sociales appelle à être bien plus activement incluse dans les approches globales de la santé.
Pour le risque infectieux, l’enjeu ne se limite certainement pas à l’émergence de nouveaux pathogènes mais s’étend au grand défi de l’antibiorésistance qui est d’ores et déjà un enjeu planétaire d’une grande gravité. Il en va de même pour les maladies non transmissibles (maladies métaboliques, cancers, etc.) et pour le risque toxique dont la prévention requiert la mise en œuvre d’approches intégratives et transdisciplinaires.
Au-delà d’une volonté politique et d’une coordination nécessaire à l’échelle nationale et internationale, ces enjeux appellent à la prise en compte des différentes disciplines dans les formations universitaires, à la valorisation de l’interdisciplinarité, ainsi qu’à la mise en place d’infrastructures partagées telles que des outils de suivis de long terme, dont les données seraient en accès libre pour les différentes communautés.
Pour en savoir plus :
- Destoumieux-Garzón D., Mavingui P., Boetsch G., Boissier J., Darriet F., Duboz P., Fritsch C., Giraudoux P., Le Roux F., Morand S., Paillard C., Pontier D., Sueur C., Voituron Y. (2018). The One Health Concept: 10 Years Old and a Long Road Ahead. Front. Vet. Sci. 5:14.
- Boissier, J., Grech-Angelini, S., Webster, B.L., Allienne, J.F., Huyse, T., Mas-Coma, S., et al. (2016) Outbreak of urogenital schistosomiasis in Corsica (France): an epidemiological case study. Lancet Infect. Dis. 16: 971–979.
- Savassi, B.A.E.S., Mouahid, G., Lasica, C., Mahaman, S.D.K., Garcia, A., Courtin, D., et al. (2020) Cattle as natural host for Schistosoma haematobium (Bilharz, 1852) Weinland, 1858 x Schistosoma bovis Sonsino, 1876 interactions, with new cercarial emergence and genetic patterns. Parasitol. Res. 119: 2189–2205.
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