Grande conférence de la santé : pour Yvon Berland, « la question de la sélection doit être posée »
Considérée comme un rendez-vous phare des acteurs de la santé, la Grande conférence de la santé qui se déroulera le 11 février prochain, au Conseil économique, social et environnemental (Cese), entend apporter des réponses aux défis rencontrés par le système de soin français. Pour la CPU, l’organisation de l’offre de soins doit être la question centrale. Aussi, elle a formulé, par l’intermédiaire d’Yvon Berland, président d’Aix-Marseille Université et président de la commission des questions de santé à la CPU, un certain nombre de propositions avec l’espoir d’aboutir à une feuille de route claire et concrète à l’issue de la journée de travail.
CPU : Qu’attendez-vous de la Grande conférence de la santé du 11 février?
Yvon Berland : A mon sens, deux grands sujets doivent être prioritairement traités : l’organisation de l’offre de soins et le rôle des universités dans cette même organisation.
La tendance est, aujourd’hui, d’inverser le paradigme : les formations médicales mènent à des métiers qui s’intègrent à un système de santé qui n’a pas été défini au préalable. Or, c’est uniquement à partir de la définition de l’organisation de l’offre de soins que l’on peut définir les métiers nécessaires, les compétences pour les exercer et les formations qui doivent s’y attacher.
Dessiner les contours de l’offre est pour nous le point le plus important et nous espérons vraiment sortir de cette conférence avec une feuille de route claire et concrète.
Dans ses propositions, la CPU préconise le maintien de la première année commune aux études de santé (PACES), mais avec un numerus clausus défini au niveau régional. Pourquoi ?
La question de la sélection en fin de première année fait actuellement débat : doit-on maintenir cette sélection ? Le numerus clausus qui fixe le nombre d’étudiants admis en deuxième année, en vigueur depuis 1971, est-il encore légitime?
Une chose est sûre : le numerus clausus répond mal aux besoins sur le terrain. De surcroît, il est de plus en plus souvent contourné ! Certains étudiants partent étudier à l’étranger. Et une fois leur diplôme obtenu, ils reviennent exercer en France. Aujourd’hui, on estime à plus de 25 % le nombre des médecins inscrits à l’ordre qui ont obtenu un diplôme en dehors de l’hexagone. Il y a de d’hypocrisie à prétendre réguler le nombre des médecins en France, de manière très précise, alors qu’en réalité, le nombre de médecins formés à l’extérieur de la France est important.
Le numerus clausus est également dénoncé par les régions françaises touchées par ce que l’on appelle les « déserts médicaux ». Elles demandent simplement la levée de ce dispositif qui empêche des jeunes ayant de très bonnes notes en PACES d’exercer la médecine dans les territoires qui en ont le plus besoin.
Pour cela, nous considérons qu’il serait plus judicieux d’effectuer la sélection au niveau régional. Si l’un des enjeux premiers est la démographie médicale, elle doit se traiter au plus près des réalités du terrain. Et les besoins, tout comme les capacités de formation offerte, sont très différents d’une région à l’autre.
La position de la CPU sur ce sujet est claire. Il faut garder une sélection sans passer forcément par le numerus clausus. En revanche, l’absence de sélection entraînerait une forte dérégulation qui nous semble préjudiciable.
Quant aux modalités de sélection, celles-ci peuvent revêtir des formes diverses. On peut se poser la question de savoir si la sélection doit avoir lieu avant ou après l’entrée à l’université. La CPU ne se prononce pas de manière tranchée sur le sujet car elle considère qu’un grand débat doit d’abord être mené pour tracer les grands axes du projet. Et c’est seulement après qu’on pourra préciser les modalités exactes de la sélection.
La CPU souhaite le remplacement des épreuves classantes nationales du 3e cycle des études de médecine par des épreuves classantes régionales. Pour quelles raisons ?
Cela obéit au même principe que pour la sélection en fin de première année. Le classement du troisième cycle est défini au niveau national. En tant que président de l’Observatoire de la démographie des professions de santé, dont le rôle est notamment de répartir le nombre de postes d’internes par régions et par spécialités, je vois clairement les limites d’un tel classement. La CPU recommande aujourd’hui une évaluation sur des critères définis au plan national mais avec des épreuves régionales et un classement régional.
La CPU préconise la mise en place d’un grand secteur de santé au sein des universités regroupant un UFR intégrant les formations longues et une UFR intégrant les formations courtes. Quels seraient les atouts d’un tel pôle santé ?
Nous sommes aujourd’hui un peu au milieu du gué ! Lorsque nous aurons défini l’organisation de l’offre de soins et mieux défini la place des professions paramédicales, nous préconisons, pour les professionnels paramédicaux (infirmiers, kinésithérapeutes, podologues, techniciens de laboratoire médical, opticiens, diététiciens…), la possibilité de prendre en charge un patient et de l’orienter le cas échéant vers le professionnel de santé adapté.
Or, la méconnaissance entre les différentes formations pose problème. Pour collaborer plus étroitement lorsqu’ils seront en exercice, les étudiants doivent pouvoir se côtoyer, voire partager des cours en commun.
C’est ainsi que nous proposons, au sein des universités, la création d’un grand pôle santé qui pourrait regrouper l’ensemble des professions médicales et paramédicales.
Mais on peut très bien imaginer d’autres schémas comme un pôle santé dédié aux formations longues (bac + 5 et plus) et un pôle dédié aux formations courtes (bac + 3 et moins). Le débat est ouvert…
Vous avez parlé de la refonte des centres hospitaliers universitaire (CHU). Quel est le problème ?
On constate que l’université et les CHU s’éloignent l’un de l’autre, alors qu’ils devraient travailler main dans la main.
Les universités forment un grand nombre d’acteurs de santé. Mais, l’hôpital a tendance à se dissocier de l’Université, voire à empiéter progressivement sur ses prérogatives. Je pense en particulier à la formation continue et à la recherche.
Je vais prendre deux exemples concrets.
– Les universités et les CHU mènent leur fondation séparément, alors qu’ils auraient tout intérêt à mettre leurs forces en commun.
– Les hôpitaux et les universités se concertent peu sur leur stratégie de recherches et sur le rôle de chacun. Nous considérons qu’il faut un contrat quinquennal commun avec une évaluation simultanée pour mettre en place une recherche collaborative entre l’université et l’hôpital d’un même territoire.
Enfin, la question de la nature d’un CHU doit être à nouveau posée. Les hôpitaux dans les grandes villes doivent-ils être forcément des CHU ? Pourrait-on créer des structures de soins de proximité tandis que d’autres seraient consacrées à la formation, à la recherche et à l’innovation ?
Ce qui est clair pour nous, c’est que le modèle du CHU, lancé par le Professeur Robert Debré, en 1958, a vécu. Et il y a urgence pour les professionnels de la santé à s’adapter aux réalités d’un environnement qui a complètement changé.
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