[Étude] Mieux traiter l’insomnie des patients atteints de cancer à partir d’un dispositif en ligne
60% des patients atteints de cancer souffrent d’insomnie. Dans ce contexte, l’équipe de recherche en psycho-oncologie de Gustave Roussy, associée au Laboratoire psychopathologie et processus de santé (LPPS) de l’Université de Paris ont mis en place l’étude Sleep-4-All qui permet, à distance de traiter ce problème. Présentation par Diane Boinon1,2, Cécile Charles1,3, Léonor Fasse1,2, Josée Savard4, Sarah Dauchy1.
L’insomnie touche jusqu’à 60% des patients atteints de cancer, phases de traitement et de surveillance confondues. Elle reste toutefois insuffisamment prise en charge. La prescription de médicaments a des limites. À long terme, des effets indésirables peuvent apparaître tels que des problèmes de mémoire, une accoutumance, et parfois même une réapparition de l’insomnie.
La thérapie cognitivo-comportementale est une alternative non médicamenteuse qui a fait ses preuves en oncologie. Elle est aujourd’hui considérée comme un des traitements de référence de l’insomnie. Elle demeure toutefois difficile d’accès pour une majorité de patients. Plusieurs causes à cela : un manque de professionnels de santé formés, des services de soins à distance des lieux de résidence, mais aussi l’impact des symptômes liés au cancer et à ses traitements sur les capacités de déplacement.
Le recours aux nouvelles technologies offre depuis quelques années des facilités qui permettraient de contourner un certain nombre des freins à l’accès aux soins. L’équipe du Pr Savard à Québec a développé un programme cognitivo-comportemental de l’insomnie (TCC-I), accessible en ligne, d’une durée de 6 semaines, et a montré une disparition de l’insomnie chez 44% des femmes en rémission d’un cancer du sein, qui avaient suivi ce traitement auto-administré, c’est-à-dire sans intervention d’un professionnel de santé.
Un traitement à distance
Le défi a été, pour l’équipe recherche en psycho-oncologie de Gustave Roussy associée au Laboratoire de psychopathologie et processus de santé (LPPS), de tester la faisabilité de ce programme dans le contexte français et auprès de patients dans des situations très diverses. Nous avons mené l’étude Sleep-4-All-1 (financée par l’INCa RISP 2016) à l’Hôpital Universitaire Gustave Roussy (Villejuif). En 2018, plus de la moitié des 173 participants à cette étude rapportaient des difficultés de sommeil, quel que soit le type de cancer (cancer local ou avancé, du sein, colorectal, pulmonaire, urologique) et la phase de traitement considérée (pendant ou après traitements). Parmi les patients qui rapportaient une insomnie, 80% ont accepté le programme TCC-I, exprimant de fortes attentes d’amélioration de leur sommeil et une nette préférence pour une approche non médicamenteuse.
Après l’intervention, les retours sur le programme étaient très positifs : clarté, attractivité, qualité scientifique des informations transmises, format ludique des contenus (vidéos). Un tiers des participants ne présentaient plus d’insomnie. Les résultats ont également révélé plusieurs sources de difficultés dans l’accès au programme (ex : manque de familiarité avec l’utilisation d’Internet) et dans la mise en pratique au quotidien des stratégies comportementales et cognitives présentées, principalement en raison de symptômes physiques (ex : douleur, fatigue), du manque de temps et de facteurs contextuels stressants (ex : résultats médicaux en attente, préoccupations familiales…). L’ajout d’un soutien professionnel est ressorti comme une attente partagée par plusieurs participants, qui ont souligné l’intérêt d’avoir un retour personnalisé sur les progrès réalisés et de pouvoir être guidé dans l’utilisation des stratégies comportementales et cognitives.
Ces résultats montrent que les dispositifs en ligne autonomes peuvent constituer une alternative aux consultations en face-à-face, mais que pour une partie des patients un accompagnement par un professionnel est souhaitable pour pouvoir s’approprier au mieux les techniques thérapeutiques et dépasser les difficultés techniques.
Améliorer les conditions d’utilisation
Sur cette base, l‘étude multicentrique Sleep-4-all-2.0 (financée par l’INCa SHS 2020) aura pour objectif d’explorer pour qui, à quel moment et de quelle façon, un accompagnement à distance par un professionnel de santé est nécessaire pour favoriser l’adhésion et la mise en œuvre du programme Insomnet (2ème version du programme québécois), et permettre la résolution du problème d’insomnie.
Les résultats de l’étude contribueront à l’amélioration des connaissances sur les conditions d’utilisation de dispositifs thérapeutiques en ligne à destination du plus grand nombre, dans un contexte où le système de santé doit faire face à d’importantes contraintes économiques, limitant les ressources humaines, tout en luttant contre les inégalités territoriales d’accès aux soins. Un des enjeux est donc de disposer de solutions qui associent équitée et efficience, en mutualisant les ressources.
Pour aller plus loin
Boinon, D., Journiac, J., Charles, C., Fasse, L., Savard, J., & Dauchy, S. (2018). La prise en charge non médicamenteuse de l’insomnie chez les patients atteints de cancer: état des connaissances selon l’approche cognitivo-comportementale et émotionnelle. Psycho-Oncologie, 12(2), 138-146.
Boinon, D., Charles, C.,Fasse, L.,Journiac, J., Pallubicki, G.,Lamore, K., Ninot, G., Ninot, E., Gouy, S., Albiges, L., Delaloge, S., Malka, D., Planchard, D., Savard, J., Dauchy, S. (soumis en 2020). Feasibility of a Video-Based Cognitive-Behavioral Therapy for Insomnia in French adult cancer outpatients: Results from the Sleep-4-all-1 study (Submitted to Supportive Care in Cancer)
1 Gustave Roussy, Université Paris-Saclay, F-94805, Villejuif, France
2Université de Paris, LPPS, F-92100 Boulogne Billancourt, France
3Université de Bordeaux, BPH, U1219, MéRISP
4School of Psychology, Université Laval, Québec, Canada ; Centre de recherche sur le cancer, Université Laval, Québec, Canada; Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval, Québec, Canada