[Éclairage] Questionner la préservation de la biodiversité au moyen des aires protégées
Le groupe « grand enjeu transversal » (GET) Biodiversité d’AllEnvi travaille sur les questions de biodiversité dans les socio-écosystèmes. Parmi différents sujets, les chercheurs s’attachent notamment à analyser et à évaluer les stratégies de préservation de la biodiversité sauvage à travers les aires protégées. Une aire protégée doit contribuer à préserver la biodiversité et à stopper l’érosion face aux changements globaux. Comment optimiser les réseaux d’aires protégées et en fonction de quels buts de conservation ? Eclairage par François Sarrazin (Sorbonne Université), Sébastien Barot (IRD), respectivement président et vice-président du Conseil scientifique de la FRB et animateurs du GET Biodiversité de l’AllEnvi, Jean-François Silvain (FRB – Président), Hélène Soubelet (FRB – Directrice) et Aurélie Delavaud (FRB – Responsable Science et communautés de recherche).
La recherche française contribue de manière significative à l’accroissement des connaissances sur l’état de la biodiversité, la compréhension de ses dynamiques et son devenir, ainsi que sur le devenir des services que l’Homme en retire.
La biodiversité subit des pressions croissantes et les récents travaux de recherche montrent que les atteintes contemporaines majeures à la biodiversité vont s’accroître au cours des 50 prochaines années sous la pression de la démographie humaine, des besoins alimentaires, de l’artificialisation des terres et l’imperméabilisation des sols à grande échelle, de l’exploitation toujours plus intense des ressources naturelles dites renouvelables et d’une intensification des pollutions chimiques ou matérielles. À ces pressions anthropiques directes s’ajoutent les effets négatifs des invasions biologiques et le réchauffement climatique.
Des populations aux écosystèmes en passant par les espèces et les communautés, c’est l’ensemble du monde vivant qui est irrémédiablement impacté et c’est une multitude de services écosystémiques[1], dont bénéficie l’humanité, qui seront altérés sans que l’on soit en mesure aujourd’hui d’en estimer les conséquences sociales et économiques.
Les défis de la recherche sur la biodiversité résident dans plusieurs domaines :
- la complexité des interactions, entre organismes vivants et entre ces organismes et leur environnement physico-chimique ;
- les différents niveaux d’organisation du vivant (du gène à la biosphère)
- la diversité des pressions et des facteurs socio-économiques complexes en interaction avec la biodiversité.
Il s’agit aussi de produire des connaissances fondamentales pour analyser les fonctionnements et les dynamiques écologiques et évolutives au sens darwinien des systèmes écologiques et d’utiliser ces connaissances pour préserver la biodiversité et augmenter la durabilité des activités humaines dépendant de la biodiversité. De surcroît, ces défis s’inscrivent dans des dimensions temporelles paradoxales : L’urgence de l’expertise et de l’action s’accommode mal des temps plus longs de l’observation et de la recherche, voire des transitions socio-économiques, qui elles-mêmes n’intègrent que difficilement le temps des dynamiques écologiques et, a fortiori, évolutives ! De même les enjeux écologiques et politiques se situent à des échelles spatiales emboîtées, allant des biotopes à l’échelle internationale en passant par les territoires.
Le groupe « grand enjeu transversal » (GET) Biodiversité d’AllEnvi mobilise un ensemble pluridisciplinaire de chercheurs (écologues, juristes, sociologues, généticiens, économistes, écotoxicologues…) issus des universités (Sorbonne Université, Université de Lorraine, Université de Lyon 3…) et des institutions nationales de recherche. Parmi différents sujets, les chercheurs s’attachent notamment à analyser et à évaluer les stratégies de préservation de la biodiversité sauvage à travers les aires protégées. D’après la définition de l’IUCN, une aire protégée est « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ».
Comment optimiser les réseaux d’aires protégées et en fonction de quels buts de conservation ?
La préservation de la biodiversité via les aires protégées ne doit pas être confondue avec la vision caricaturale d’une « mise sous cloche », même si la réduction des pressions anthropiques constitue un présupposé à toute action de protection de la biodiversité.
Elle n’a pas vocation à figer la biodiversité, au contraire. La protection de ces espaces doit permettre la préservation de mécanismes, d’interactions, de réponses multifacettes des communautés, de fonctionnements, de dynamiques écologiques, de capacités d’évolution des organismes… La préservation ne doit pas être comprise comme une préservation d’états mais comme une préservation de processus permettant une grande liberté de dynamiques individuelles, populationnelles et écosystémiques.
De cette approche découlent plusieurs questions qui intéressent de nombreux champs disciplinaires :
- Quels sont les objectifs écologiques à fixer et quels bénéfices attendre des aires protégéespour les humains ?
- Que faut-il protéger, des populations aux écosystèmes et passant par les espèces? Doit-on protéger l’exceptionnel, l’emblématique, le rare, les espèces importantes au plan écologiques, celles qui le sont sur le plan évolutif, etc. ? Qu’est-ce qu’une aire protégée efficace, et cela par rapport à quoi ? Comment évaluer et quelles sont les conditions de l’efficacité, en termes de protection de la biodiversité, des aires protégées ?
- Comment intégrer, dans les réflexions sur le devenir des aires protégées, les effets du changement climatique, la mobilité variable des espèces, le périmètre actuel des aires protégées- et à quelles échelles spatiales doit-on le faire ?
- Comment rendre compte, en droit, de processus dynamiques plus que d’états figés? Quels sont les leviers juridiques et fiscaux, les mécanismes de gouvernance à mobiliser pour assurer une cohérence nationale, internationale d’une part et tenir compte des contextes territoriaux d’autre part ?
- En quoi les crises sanitaires, comme celle de la Covid-19 vont-elles influencer les stratégies des aires protégées et leur mode de gestion?
- Comment concilier les activités humaines, leurs régulations et la préservation de la biodiversité? Quels sont les liens entre le dialogue avec les populations locales et l’efficacité (protection) des aires protégées ? Peut-on imposer la protection ou toujours rechercher des consensus avec les acteurs locaux, au risque de compromis qui ne soient pas toujours favorables à la biodiversité ? Quelles perspectives de relations entre humains et non humains se dessinent au sein de ces espaces et à leur proximité ?
- Quels modèles économiques établir pour les aires protégées en intégrant la diversité de leurs statuts et des degrés de protection qui y sont appliqués? Existe-t-il des articulations possibles, à des degrés divers, entre État, initiatives privées individuelles ou associatives ?
Les travaux de recherche sur ces questions permettent d’améliorer les recommandations pour une stratégie de préservation basée sur les connaissances scientifiques.
Pour en savoir plus :
- Une partie des questions évoquées ci-dessus seront évoquées lors de la Journée FRB du 3 novembre 2020 sur le thème «Les aires protégées peuvent-elles sauver la biodiversité au XXIème siècle ? »
- Le GET Biodiversité contribue également à l’organisation du colloque AllEnvi dédié à la conservation de la biodiversité. Celui-ci devrait se tenir, sous réserve des contraintes liées à la situation sanitaire, juste avant le Congrès mondial de la nature organisé par l’UICN. Il permettra de mobiliser les communautés scientifiques qui travaillent sur les grands enjeux environnementaux et d’aborder, collectivement, de grandes questions transversales et pluridisciplinaires. Quatre sessions thématiques seront dédiées au contexte évolutionnaire des stratégie de conservation de la biodiversité; à la diversité des types d’anthropisation et de leurs effets en conservation ; aux interactions et rétroactions climat-biodiversité ; à l’explicitation des enjeux éthiques et juridiques en conservation. Deux sessions spéciales aborderont, par ailleurs, les liens avec la santé humaine ainsi que les enjeux de gouvernance et la place de la recherche pour la conservation de la biodiversité dans un monde post-Covid.
[1] On appelle « services écosystémiques » les biens et services que l’homme retire des écosystèmes, directement ou indirectement, pour assurer son bien-être (nourriture, qualité de l’eau, paysages, etc.).