[Éclairage] La pandémie de la Covid-19, un outil au service de l’innovation pour repenser le tourisme ?

France Universités : date de publication

    La pandémie est à l’origine d’une crise multiple, sanitaire, économique, financière, touristique, mais ne pourrait-elle aussi être un outil au service d’innovations au sein des territoires ? Par Marie Delaplace, chercheuse à l’Université Gustave Eiffel (Lab’Urba, EUP), Groupe Ville, Tourisme, Transport du LabEX Futurs Urbains

     

    La pandémie est à l’origine d’une crise multiple, sanitaire, économique, financière, touristique, mais ne pourrait-elle aussi être un outil au service d’innovations au sein des territoires ?

    L’idée que nous souhaiterions développer ici est qu’il ne s’agit pas seulement d’innover pour dépasser la crise que connaît le secteur du tourisme mais qu’il convient aussi de penser l’innovation de façon plus radicale pour construire un nouveau tourisme. Il est en effet indispensable de raisonner en deux temps, l’un à court terme et le second à moyen et à long terme.

     

    A court terme, la crise a eu et a toujours un impact extrêmement important sur le secteur du tourisme, qui affecte les emplois, la production de richesses des entreprises. Dans son baromètre du tourisme mondial, en mai 2020, l’OMT considère que la chute des arrivées de tourisme international (entre – 850 millions à – 1,1 milliard) selon les scénarii pourrait induire une perte de recettes d’exportation du tourisme de 910 milliards à 1200 milliards de dollars et 100 à 120 millions d’emplois directs dans le tourisme seraient menacés. Les répercussions en termes d’emplois indirects et induits fragiliseraient alors de nombreux territoires au-delà du tourisme.

     

    Pour amortir la crise que connaît le tourisme et d’autre secteurs, force est de constater que ce sont d’anciennes solutions (les interventions publiques qu’elles soient étatiques ou des collectivités territoriales) qui sont aujourd’hui utilisées : elles signent un retour de l’Etat-providence, pourtant si décrié depuis le début des années 1980, si l’on excepte la crise financière débutée en 2008.

    Au-delà des interventions publiques, des solutions ont été mises en place pour faire repartir l’activité des entreprises et accueillir à nouveau les différents types de touristes tout en répondant aux nouvelles exigences sanitaires.

     

    Si quelques produit ou procédés comme les systèmes de purification automatique, les poignées de porte autonettoyantes ou le système de désinfection de l’air actuellement testé dans un bistrot parisien peuvent être considérées comme de réelles innovations technologiques, force est de constater que ce n’est pas le cas des solutions telles que les panneaux de séparation en plexiglas, les bornes de gel hydro-alcoolique à l’entrée des hôtels, etc. qui s’appuient sur des solutions existantes déjà à l’œuvre dans d’autres secteurs.

     

    A court terme, ces innovations dites frugales semblent cependant beaucoup plus importantes. Ces innovations frugales (Jugaad en indi) que Navi Radjou et Jaideep Prabhu ont conceptualisées, ont émergé dans les pays dits en développement. Il s’agit de faire mieux avec moins, simplement, en s’inspirant de l’existant et des ressources disponibles. Elles autorisent la reprise de l’activité notamment par les plus petites entreprises du tourisme et à très court terme. Conduire des projets d’innovations technologiques est en effet plus complexe sur un temps limité et plus risqué lorsque l’activité est menacée.

    Mais il s’agit aussi de penser des innovations organisationnelles permettant, sur un territoire donné (ou sur différents territoires) de mettre en relation l’ensemble des acteurs qu’ils soient publics ou privés afin de partager les solutions qui émergent. 

     

    Ainsi, des destinations se réinventent (certaines le faisaient déjà) en proposant des Pass touristiques qui associent des activités et donnent la possibilité aux touristes de puiser dans un panier de biens et services territorialisés (Pecqueur, 2001) construit de façon collective, contribuant ainsi à ancrer le tourisme dans les territoires et à dégager plus de richesses qu’il n’en aurait été individuellement.

    Dans le même ordre d’idées, la constitution d’une plateforme collaborative favoriserait le partage de solutions, des trouvailles de ces acteurs du tourisme. Partager les meilleurs pratiques constitue de nouveau une innovation organisationnelle voire territoriale lorsque les acteurs sont localisés dans le même territoire.

     

    Ainsi l’innovation technologique est importante mais d’autres formes le sont également.

    Cela étant, s’intéresser uniquement à la capacité d’innovation à court terme des entreprises du tourisme, fusse-t-elle collaborative, est insuffisant. Il est en effet indispensable de s’interroger sur les modifications éventuelles de la demande à moyen et à long terme (2025 -2030) et les capacités d’innovation pour y répondre.

     

    La période actuelle n’est-elle pas aussi à l’aube d’un changement paradigmatique pour le tourisme ?

    Alors que l’étude prospective à long terme publiée en 2010 par l’OMT prévoyait 1,4 milliard d’arrivées de touristes internationaux en 2020 (contre 940 millions en 2010), ce chiffre a déjà été atteint en 2018 (UNTWO, 2019) et ce, sans comptabiliser le tourisme domestique qu’il est plus difficile d’évaluer mais qui représente entre 5 et 6 milliards de touristes. Cette forte croissance est-elle durable ?

     

    Le tourisme est tout à la fois une source de croissance et d’emplois et une source d’externalités négatives. La forte croissance des arrivées internationales et sa polarisation dans l’espace conduisent à la production localisée de richesses pour le secteur des transports, les hôteliers, les restaurateurs, les musées, les activités de loisirs dans les sites visités etc., mais également à la dégradation des patrimoines naturels, matériels, culturels, qui les caractérisent. Elle conduit à valoriser les biens immobiliers des propriétaires dans les villes touristiques mais empêche les habitants et les travailleurs de se loger. Elle induit une spécialisation économique des activités autour du tourisme mais entrave le développement d’activités pour les habitants.  C’est là toute la dialectique du tourisme !

     

    Ainsi avant la crise sanitaire, le débat était davantage de savoir d’une part, comment lutter contre cet overtourism ou surtourisme, en particulier dans les villes touristiques (Venise, Barcelone, Amsterdam, etc.), et d’autre part, s’il était envisageable de continuer à voyager aussi loin, aussi souvent, le secteur des transports étant à l’échelle mondiale à l’origine de 25% des émissions de gaz à effet de serre (30% en France). 

     

    Si la crise sanitaire est venue interrompre cette forte croissance, les questionnements subsistent. Dès lors, le tourisme ne doit-il pas être repensé ?

    Des innovations technologiques existantes en particulier dans le numérique peuvent être mobilisées pour faire face au surtourisme : réalité virtuelle, réalité augmentée, permettant aux touristes d’investir les lieux de façon virtuelle. Mais si ces innovations permettent de découvrir des lieux, elles ne permettront pas aux territoires touristiques de bénéficier des effets multiplicateurs en termes de revenus générés par la présence et les dépenses des touristes. Le caractère intrinsèquement dialectique de l’activité touristique refait surface.

    Il s’agirait alors de penser une nouvelle offre pour des touristes qui, pour certains d’entre eux, souhaitent un tourisme plus respectueux des habitants, des lieux, de l’environnement, des cultures, bref un tourisme plus durable. Cela permettrait que les territoires des touristes soient aussi ceux de leurs habitants.

    Ce changement paradigmatique est-il en cours ? Si ça et là des initiatives se développent, il est encore sans nul doute un peu tôt pour l’affirmer.

     

    Pecqueur B., 2001, Qualité et développement territorial : l’hypothèse du panier de biens et de services territorialisés, Économie rurale, 261, 37-49

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