[Éclairage] GEODE ou les enjeux stratégiques de la révolution numérique
Géopolitique de la Datasphère (GEODE) est un centre de recherche interdisciplinaire et de formation qui s’intéresse aux enjeux géopolitiques et stratégiques de la révolution numérique. En février 2021, GEODE a obtenu le label « Centre d’excellence relations internationales et stratégie » du Ministère des Armées. Présentation par Frederick Douzet, professeure de géopolitique à l’Université Paris 8, directrice d’IFG Lab et directrice du centre Géopolitique de la Datasphère (GEODE).
La révolution numérique est en marche et transforme en profondeur nos modes de vie, nos économies et notre environnement stratégique. Le centre de recherche Géopolitique de la Datasphère est porté par le laboratoire de l’Institut Français de Géopolitique (IFG Lab) de l’Université Paris 8, il réunit des chercheurs en informatique et en droit de l’Université, ainsi que de l’INRIA, Université de Paris, l’INALCO, l’ENS, l’Université de Savoie et des Ecoles Saint-Cyr Coëtquidan.
La révolution numérique, une rupture inédite
Avec l’adoption massive des technologies numériques et l’interconnexion mondiale des systèmes d’information, des pans entiers de l’activité et de la connaissance humaines sont transformés en données numériques. Le monde est désormais truffé de capteurs disséminés dans les objets du quotidien (smartphones, montres, téléviseurs), dans les équipements publics et industriels, dans les systèmes d’armes et même dans le corps humain (pacemakers). Ces traces numériques laissées par les usagers permettent d’analyser en temps réel leurs comportements et leurs interactions et d’en tirer des analyses à des fins commerciales, d’intérêt public ou malveillantes. Elles permettent le développement de technologies disruptives qui révolutionnent les pratiques et ouvrent de nouvelles perspectives dont on commence tout juste à prendre la mesure.
De nouveaux défis pour les États
Ces évolutions transforment aussi la manière dont les grandes puissances se mesurent et s’affrontent, alors que la dernière décennie a vu la prolifération des opérations d’espionnage, des cyberattaques de plus en plus déstabilisatrices et des manœuvres informationnelles dans un contexte de course aux cyberarmes et à l’innovation technologique (intelligence artificielle, ordinateur quantique). Elles favorisent la montée en puissance de nouveaux acteurs privés (Google, Amazon, Facebook…) aux activités transfrontalières et à l’ubiquité inédite qui défient la souveraineté des États. Elles modifient les représentations de la menace et de la sécurité dans un environnement numérique où les technologies et les réseaux sont partagés entre le monde civil, économique et militaire et où les interconnexions, les interactions et les interdépendances sont multiples mais pas toujours bien comprises et maîtrisées. Les gouvernements se trouvent ainsi face à des choix technologiques, stratégiques et éthiques extrêmement complexes dont il parfois est difficile d’évaluer a priori toutes les implications.
La datasphère, un concept émergent
La notion de datasphère, tout juste émergente, permet d’englober dans un même concept les défis stratégiques liés au cyberespace mais aussi les enjeux présents et à venir d’un monde à la dépendance croissante aux technologies et données numériques. Elle peut se concevoir comme la représentation d’un nouvel ensemble spatial formé par la totalité des données numériques et des technologies qui la sous-tendent, ainsi que de leurs interactions avec le monde physique, humain et politique dans lequel elle est ancrée.
Les recherches pionnières de GEODE résultent d’un dialogue approfondi entre les disciplines, à la croisée des sciences humaines et sociales, de l’informatiques et des mathématiques. Elles s’inscrivent dans la tradition d’innovation en sciences sociales de l’Université Paris 8 et l’ambition de développement des humanités numériques du Campus Condorcet, où GEODE est installé.
GEODE : cartographie, politiques publiques et confrontations dans la datasphère
Les recherches de GEODE s’articulent autour de trois axes.
L’axe transversal cartographie de la datasphère vise à développer des méthodologies et des outils pour mieux comprendre et représenter ce nouvel environnement et ce qui s’y déroule : infrastructures physiques, flux de données, routes logiques et physiques, graphs relationnels, réseaux sociaux. Elles comprennent aussi l’élaboration de méthodes d’enquête de terrain numérique à des fins d’analyse de conflits géopolitiques.
L’axe confrontations dans la datasphère aborde les actions, les opérations et les dynamiques d’affrontement l’analyse géopolitique prend en compte les représentations et jeux des acteurs ; les rivalités de pouvoir et les conflits d’intérêts ; les stratégies, doctrines et modes opératoires ; les rapports de force et les enjeux stratégiques à différents niveaux d’analyse.
L’axe politiques de la datasphère s’intéresse aux enjeux juridiques, éthiques et démocratiques qui relèvent des politiques publiques : régulation internationale pour la paix, la sécurité et la stabilité de l’espace numérique ; politisation des technologies numériques ; enjeux et stratégies de souveraineté numérique ; conflits de juridictions et rôle des acteurs privés.
Le label Centre d’excellence vient récompenser une recherche qui nourrit la réflexion stratégique du Ministère des Armées et l’aide à mieux comprendre les enjeux et anticiper les évolutions de la datasphère. Il permet le financement de jeunes chercheurs, doctorants et post-doctorants, qui représentent un vivier stratégique de compétences à destination des entreprises, des institutions, de la société civile et du Ministère des Armées.
Pour aller plus loin :
- Douzet (dir.), 2020, « Géopolitique de la datasphère », Hérodote (177-178) La Découverte
- Cattaruzza, 2019, Géopolitique des données numériques : Pouvoir et conflits à l’heure du Big Data, Le Cavalier Bleu
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