Hubert Curien : un homme « humble » doté d’une « grande exigence intellectuelle »
Le 6 février 2005, il y a 10 ans, Hubert Curien disparaissait à l’âge de 80 ans. La communauté universitaire rend hommage à celui qui fut deux fois ministre chargé de la Recherche et de la Technologie (1984 – 1986 ; 1988 – 1993). Le parcours de ce scientifique hors norme est impressionnant : normalien, agrégé de physique, docteur ès-science avec une thèse consacrée à la cristallographie et à la minéralogie, professeur à la faculté des sciences de Paris, directeur scientifique du département de physique du CNRS, puis directeur général du CNRS, délégué général à la recherche scientifique et technique, président du conseil d’administration du Centre national d’études spatiales et président de l’Académie des Sciences.
Jean-Loup Salzmann qui fut son conseiller technique chargé de la biologie, de la médecine et de la culture scientifique et technique au ministère de la recherche de 1988 à 1993, nous livre les souvenirs de ses cinq ans passés aux côtés d’un homme « humble » doté d’une « grande exigence intellectuelle ».
1) Selon vous, quelles traces Hubert Curien laisse-t-il en tant qu’enseignant, ministre et chercheur ?
Jean-Loup Salzmann : Ce qui caractérise Hubert Curien, c’est que même lorsqu’il était ministre, il n’abandonnait jamais ses fonctions d’enseignant et de chercheur. Je me souviens qu’il prenait toujours le temps d’aller dans son laboratoire pour diriger son séminaire de doctorat, de s’occuper de son laboratoire, de recevoir ses étudiants. A la retraite, il a continué à avoir une activité d’enseignement très importante.
On peut dire qu’il a durablement marqué le paysage de la recherche et de la science en France. Directeur du CNRS, il l’ouvre aux coopérations avec les laboratoires étrangers : plus de cinquante accords bilatéraux sont ainsi signés entre 1969 et 1973, notamment avec l’Angleterre et l’Allemagne. Il développe parallèlement des relations avec des pays à fort potentiel scientifique tels que l’URSS, Israël et le Japon.
Fort de son attachement à la construction de l’Europe de la Science, il est à l’origine de la création de la Fondation Européenne de la Science. Au ministère de la Recherche, il participe au lancement du programme Eureka destiné à renforcer la compétitivité de l’industrie européenne.
C’est pendant sa présidence du Centre National d’Etudes Spatiales (1976 – 1984), qu’il dirige le premier lancement de la fusée Ariane, ce qui lui vaudra le surnom de « père de l’Europe spatiale ».
Enfin, au Parlement, il engage plusieurs chantiers « à hauts risques », avec notamment une loi sur l’éthique médicale et une autre sur « l’enfouissement des déchets radioactifs à durée de vie longue ».
2) Quel rôle Hubert Curien a-t-il joué dans la dynamisation de la culture scientifique au bénéfice des jeunes ?
Hubert Curien était persuadé que l’une de missions essentielles du chercheur était la vulgarisation scientifique auprès d’un large public. Tout au long de sa vie, il a eu à cœur d’éveiller l’esprit scientifique chez les jeunes.
Il contribua à créer la cité des sciences et de l’industrie de la Villette. Un peu partout en France, il avait lancé des centres scientifiques et techniques pour que chaque jeune puisse se familiariser avec les sciences. En 1991, il décide de fêter les 10 ans du ministère en ouvrant ses jardins au public pour la première fois. Cet évènement, baptisé la « science en fête » préfigure ce qui deviendra, un an plus tard, la Fête de la science. L’objectif de l’opération était d’ouvrir les portes des laboratoires pour faire partager les joies de la découverte avec tous les citoyens, et particulièrement avec les jeunes.
Il a multiplié les actions de communication pour promouvoir la science auprès des jeunes. On peut citer le passeport pour la recherche, le dispositif « 1000 classes/ mille chercheurs »… Il a encouragé, par ailleurs, la création de centres régionaux pour la culture scientifique, technique et industrielle pour montrer l’intérêt des sciences à tous les publics.
Pour lui, il était extrêmement important que la société, dans son ensemble, comprenne les enjeux de la recherche. La science devait étroitement être liée à la société.
3) Dix ans après sa mort, son action peut-elle éclairer le débat sur le rôle et l’exigence d’excellence de l’Université en France?
Selon moi, les valeurs que défendait Hubert Curien sont plus que jamais d’actualité. Démocratisation et exigence étaient ses deux maîtres-mots. Il était très attaché à la démocratisation de l’enseignement supérieur. Il s’est toujours battu pour que les classes populaires puissent avoir accès à l’enseignement supérieur. Par exemple, alors qu’il était délégué général à la Recherche scientifique et technique (DGRST), il a créé les bourses à destination des docteurs, qui deviendront les contrats doctoraux. En tant que ministre, il a multiplié les contrats doctoraux et a revalorisé les allocations de recherche.
Outre le fait qu’il était un très grand scientifique et un très grand administrateur de la recherche, il est toujours resté un homme extrêmement humble. Il avait un abord facile. Que ce soit face à un étudiant, à un technicien ou à un prix Nobel, il parlait à tout le monde avec la même simplicité. Il était un mélange de modestie, d’humilité et de grande exigence intellectuelle.
En tant que ministre, il était d’une très grande gentillesse avec tous ses collaborateurs. Il n’avait jamais un mot plus haut que l’autre, ce qui a contribué à créer une grande cohésion au sein de ses équipes.