Retrouver l’usage de la main grâce à la stimulation électrique
La start-up Neurinnov veut redonner de l’autonomie aux personnes handicapées, en stimulant électriquement les nerfs contrôlant certains muscles. Elle a développé une technologie de stimulation offrant davantage de précision dans les mouvements, tout en réduisant l’impact chirurgical. Les premiers résultats sur la main sont prometteurs.
Lorsqu’une personne subit un accident vasculaire cérébral ou une lésion de la moelle épinière, elle en ressort parfois avec des séquelles lourdes, comme l’impossibilité de relever le pied, de contrôler ses sphincters, ou de porter un objet ; il s’agit de déficiences fonctionnelles. Aujourd’hui, des solutions se développent pour les aider à retrouver une partie de leur autonomie. C’est le cas de la société Neurinnov, fondée en 2018 par deux chercheurs, David Andreu de l’université de Montpellier et David Guiraud de l’Institut national de la recherche en informatique et automatique (INRIA). « Notre collaboration a démarré dans les années 2000, raconte David Andreu, et pendant 15 ans nous avons mené des recherches, puis des transferts de technologie, mais nous n’avons pas trouvé les acteurs industriels pour apporter nos solutions aux patients. C’est pourquoi nous avons créé Neurinnov, avec une troisième personne, Serge Renaux. »
Des mouvements plus précis
L’objectif de Neurinnov est de compenser les déficiences fonctionnelles en stimulant directement les nerfs qui commandent les muscles impliqués dans la fonction : c’est la stimulation électrique fonctionnelle. Celle-ci peut être pratiquée de plusieurs façons : à l’aide d’une électrode externe, mais les mouvements sont alors très peu précis. Ou en implantant l’électrode, soit sur le muscle soit sur le nerf amont, une méthode plus invasive mais plus précise. Neurinnov a développé une nouvelle manière d’effectuer cette stimulation interne.
Pour effectuer un mouvement de la main, nous contrôlons les mouvements de notre poignet, la position de chacun de nos doigts, donc nous sollicitons beaucoup de muscles, surtout dans l’avant-bras. Si nous souhaitons reproduire cela avec des électrodes, il faut une électrode sur chaque muscle, soit une dizaine d’électrodes et 6 à 8 heures de chirurgie. « Nous voulions une solution qui réduisait cet impact chirurgical, explique David Andreu. Nous avons donc conçu une méthode pour stimuler le nerf de façon sélective. »
Fermer la main
Un nerf contient des milliers de fibres nerveuses, les axones, rassemblés en sous-ensembles. Selon la manière dont on envoie l’électricité vers tel ou tel sous-ensemble, on peut stimuler préférentiellement tel ou tel muscle. « Autour du nerf, nous implantons une électrode de forme cylindrique, possédant plusieurs contacts métalliques, décrit le chercheur. Nous sommes capables de déterminer la configuration de ces contacts, la manière dont le courant est réparti entre eux, et même la forme de courant (le profil de l’onde électrique) et sa modulation, pour activer préférentiellement tel ou tel sous-ensemble d’axones. Nous implantons ces électrodes à proximité du coude, où nous stimulons les deux principaux nerfs responsables des mouvements de la main. » Plusieurs articles scientifiques ont été publiés sur les résultats atteignables avec cette approche de stimulation sélective[1]. L’un d’eux porte notamment sur le « retour sensoriel » d’une prothèse chez les personnes amputées, autrement dit la manière dont la personne ressent les objets ou l’environnement touchés par la prothèse.
Un essai clinique a été réalisé sur neuf personnes anesthésiées, et il a montré que la stimulation neurale sélective était capable d’ouvrir et de fermer la main, et de pincer entre le pouce et l’index lorsqu’on stimulait les deux nerfs concernés. Ces trois mouvements de la main sont les plus importants pour l’autonomie des personnes. Un deuxième essai débutera le 25 février prochain. Deux électrodes seront implantées chez des patients qui, une fois réveillés, pourront tester le contrôle de leur main. Mais elles seront ensuite retirées car actuellement l’électronique n’est pas adaptée pour être implantée.
Objectif 2024
Reste une étape cruciale : la relation entre l’intention du patient et la stimulation. Comment, lorsqu’on a perdu l’usage de sa main, déclencher la stimulation ? Trois modalités sont à l’étude : utiliser des muscles de l’épaule du côté opposé dont les contractions, que l’on détecte via un électromyogramme (reflet de l’activité électrique d’un muscle), servent de signaux de commande. La seconde modalité est basée sur l’analyse des mouvements de l’épaule via des capteurs inertiels (capables de détecter les accélérations et les rotations). Troisième solution possible : la commande vocale. Les deux premières solutions ont été testées sur une quinzaine de patients. Objectif : étudier notre capacité à décoder leurs intentions.
Si les premiers essais concernent la main, la technologie de Neurinnov est applicable pour de nombreuses autres déficiences fonctionnelles. Par exemple certains de ses travaux ont été utilisés pour la stimulation cochléaire (pour les sourds profonds). La société exploite plusieurs brevets sur ses innovations, issus des chercheurs ayant créé l’entreprise. Pour David Andreu, « notre mot clé est la sélectivité : maîtriser les effets de la stimulation sur chaque nerf ». Le marquage CE indiquant la conformité du dispositif au règlement de l’Union européenne, préambule à la commercialisation, est attendu pour fin 2024 ou début 2025. « C’est une magnifique aventure, s’enthousiasme David Andreu, et nous avons la chance de bénéficier du soutien bienveillant de nos deux établissements, l’université de Montpellier et l’INRIA. »
[1] Sensory feedback restoration in leg amputees improves walking speed, metabolic cost and phantom pain. F. Petrini, M. Bumbasirevic, G. Valle, V. Ilic, P. Mijovic, P. Cvancara, F. Barberi, N. Katic, D. Bortolotti, D. Andreu, K. Lechler, A. Lesic, S. Mazic, B. Mijovic, D. Guiraud, T. Stieglitz, A. Alexandersson, S. Micera, S. Raspopovic. Nature Medicine, September 2019.
Enhancing functional abilities and cognitive integration of the lower limb prosthesis
F.M. Maria Petrini, G. Valle, M. Bumbasirevic, F. Barberi, D. Bortolotti, P. Cvancara, A. Hiairrassary, P. Mijovic, A.Ö. Sverrisson, A. Pedrocchi, J-L. Divoux, I. Popovic, K. Lechler, B. Mijovic,
- Guiraud, T. Stieglitz, A. Alexandersson, S. Micera, A. Lesic, S. Raspopovic. Science Translational Medecine, October 2019.
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