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Le patrimoine, entre rationalité et émotion

France Universités : date de publication

    Un bâtiment ne naît pas patrimonial, il le devient. La construction du patrimoine est avant tout un grand récit permettant de se positionner dans l’Histoire.

    Notre-Dame de Paris est un des emblèmes du patrimoine français, voire mondial. Mais cette notion de patrimoine, qui paraît évidente au premier abord, est bien plus riche et complexe qu’on ne l’imagine. « Aucun bâtiment ne nait comme faisant partie du patrimoine, rappelle Maogan Chaigneau-Normand, maître de conférence en histoire de l’architecture contemporaine et patrimoine bâti à l’université de Rennes-2. Il est d’abord construit pour abriter des activités humaines. Puis des personnes désignent ce bâtiment comme faisant partie du patrimoine. Le patrimoine est une fiction, un grand récit qu’un groupe humain met en place en instrumentalisant (plus ou moins rationnellement) le passé afin de se positionner lui-même dans la longue durée de l’Histoire. Et à cette occasion, certains monuments deviennent des héros, dont la stature peut être nationale et même internationale comme Notre-Dame de Paris. D’où l’émoi face au héros blessé. »

    Banal et symbolique

    Le patrimoine est à la fois une notion historique, émotionnelle, politique, et même économique, vu son impact sur le tourisme. Le patrimoine architectural est spécifique, car il est présent physiquement au milieu de nos vies. « Un monument s’impose par sa masse, il s’invite dans le quotidien des gens, contrairement à d’autres œuvres comme la peinture ou la sculpture, davantage dans les musées, note Maogan Chaigneau-Normand. Le bâtiment est près de nous, chacun se l’approprie, et c’est pour cela qu’on se sent particulièrement concerné par ces édifices. » Pourtant, parfois, à force de passer quotidiennement devant un monument, celui-ci en devient banal, on n’y fait plus attention. Et c’est quand survient un élément tragique que resurgit sa valeur symbolique.

    Dans le cas de Notre-Dame, les multiples évènements religieux et civils qui ont jalonné son existence, mais aussi ses caractéristiques architecturales et urbaines, en font un monument particulièrement fort. D’autant que Notre-Dame, c’est Paris ! D’où l’impact mondial qu’a pris cet incendie. Enfin, n’oublions pas le rôle de Victor Hugo (et de toutes les créations inspirées de « Notre-Dame de Paris ») qui a magnifié la cathédrale, la rendant emblématique de toutes les cathédrales françaises.

    Rigueur et émotion

    Curieuse notion que celle de patrimoine ! D’un côté, elle semble très rationnelle et organisée, avec des services de l’Etat spécifiques, des méthodologies, des corps professionnels tels que les architectes en chef des Monuments historiques ou les architectes des bâtiments de France,… De l’autre côté, elle possède une composante émotionnelle très forte. « Cet aspect émotionnel prend d’autant plus d’ampleur que chacun s’exprime aujourd’hui sur ce sujet, notamment via les réseaux sociaux, observe Maogan Chaigneau-Normand. Cette intrusion de la société civile au milieu des experts est inévitable. Comment intégrer cette attente dans le travail autour du patrimoine ? Ce n’est pas  simple, mais c’est crucial. »

    Clairement, le patrimoine est aussi un lieu de débats, qui ne laisse personne indifférent. La restauration d’un monument abîmé, notamment, soulève de nombreuses questions. Par exemple faut-il moderniser ? Ces débats peuvent être facteurs de conflit ou de cohésion selon la manière dont on s’en empare. « Il n’y a pas de recette miracle, souligne l’enseignante-chercheuse. Il est important de prendre le temps, d’écouter les gens et les experts des multiples domaines. Notre-Dame cristallise tous les questionnements actuels sur le patrimoine. »

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