[Initiative] L’hydrogène sur des rails
Impliqué dans la recherche et le développement des piles à hydrogène, Gaël Maranzana, chercheur à l’Université de Lorraine, au sein du Laboratoire énergies et mécanique théorique et appliquée (Université de Lorraine/CNRS) fait le point sur les futurs trains à hydrogène.
Il existe environ 20 000 kilomètres de voies ferrées qui permettent la circulation des TER de la SNCF mais seuls 12 000 sont à ce jour électrifiés. La raison ? Le coût d’électrification d’une ligne de train est prohibitif, de l’ordre de 1M€/km.
Les services sur ces lignes non électrifiées sont réalisés grâce à des locomotives diesel dont les émissions de gaz à effet de serre par passager et par kilomètre sont en pratique équivalentes aux émissions d’une automobile. Le maintien durable des lignes moins fréquentées passe donc par le développement de chaines de traction décarbonées. La SNCF s’est d’ailleurs engagée à sortir du diesel en 2035.
Pour cette application de transport lourd, les batteries au lithium utilisées dans l’automobile ne sont pas adaptées parce que leur poids, leur coût et les contraintes de recharge seraient trop importants. La solution propre optimale, à ce jour, repose sur le vecteur hydrogène. Les premiers trains à hydrogène circulent en Allemagne depuis 2018 et la SNCF vient de passer commande de 15 rames qui entreront en service en France à partir de 2025. Un train TER à hydrogène embarque environs 100kg d’hydrogène gazeux stockés dans des réservoirs sous 350bars de pression. Cela lui assure une autonomie de 1000 km.
Comment fonctionne un train à hydrogène ?
Dans un tel train, l’hydrogène et l’oxygène de l’air sont convertis par la pile à combustible en électricité, chaleur et eau. Si l’hydrogène est produit par électrolyse à partir d’électricité renouvelable, il n’y a donc pas d’émission de particules fines, d’oxydes d’azote, de monoxyde de carbone, et très peu d’émissions de gaz à effet de serre (limitées aux émissions relatives à la fabrication et au recyclage des systèmes).
La puissance de la pile à combustible est de 200Kw. Elle est supplée par un pack de batteries Lithium-ion de 111kWh pouvant délivrer une puissance de 450Kw. Il s’agit donc d’une locomotive hybride. La présence de la batterie permet d’une part d’augmenter la puissance maximale pour les accélérations et d’autre part de récupérer l’énergie de freinage lors des décélérations.
Une recherche pour l’avenir
Cette solution hydrogène pour le ferroviaire est très séduisante sur le papier, mais elle est encore assez chère. La durée de vie et la fiabilité du système pile à combustible méritent également d’être améliorées. Au Laboratoire énergies et mécanique théorique et appliquée (LEMTA), nous travaillons depuis vingt ans sur ces thématiques. A l’échelle de la cellule de pile à combustible, nous cherchons à comprendre les mécanismes physiques qui conduisent à la dégradation des matériaux constituant le cœur de pile. A partir de cette compréhension fine, nous mettons en œuvre des lois de commande et développons des architectures qui permettent de piloter le système constitué de la pile et de ses auxiliaires de façon optimale, pour augmenter sa fiabilité et sa durabilité.
Le vieillissement des cellules de pile à combustible (plusieurs centaines de cellules sont empilées pour constituer une pile) est un phénomène boule de neige : plus une cellule est dégradée, plus elle se dégrade vite. Ceci s’explique par le fait que toutes les cellules sont connectées en série sur le plan électrique : chaque cellule doit produire le même courant quel que soit son état de santé. Et lorsque qu’une cellule est fichue, c’est toute la pile qui doit être arrêtée. Pour pallier à ce problème, nous avons développé au LEMTA une architecture de pile innovante que nous avons brevetée [1] et qui permet grâce à une électronique de puissance adaptée [2] d’équilibrer les tensions des cellules. Lorsqu’une cellule commence à vieillir, le système la soulage d’une partie du courant pour lui éviter de se dégrader davantage. Et lorsqu’une cellule ne fonctionne plus, notre système peut l’isoler, ce qui permet aux autres cellules de continuer à fonctionner pour produire l’énergie électrique nécessaire et donc garantir la continuité de service.
Cet exemple de recherche multidisciplinaire illustre comment le LEMTA participe au développement des systèmes « pile à combustible stationnaires embarqués » pour notamment mettre l’hydrogène sur des rails.
[1] G. Maranzana, J. Dillet, O. Lottin, S. Didierjean, A. Thomas, IMPROVED FUEL CELL. Patent n° : WO/2014/060198. 2014
[2] M. Bahrami. J.-P. Martin, S. Pierfederici, G. Maranzana, F. Meibody-Tabar, S. Didierjean, J. Dillet, M. Weber, M. Zandi, R. Gavaksaz, Power equalizer for fuel cell energy management system, IEEE Transaction On Industrial Electronics, 2019