[Initiative] Les sols, la clé vers la neutralité carbone ?
Peut-on imaginer un monde où vivraient 10 milliards d’êtres humains en symbiose avec leur environnement, où produire l’alimentation et les matières premières biosourcées ne serait pas synonyme de destruction des écosystèmes de la planète notamment sous l’effet d’un changement du climat ? C’est ce qu’imagine l’initiative « 4 pour 1000 » qui vise à montrer que l’agriculture, et en particulier les sols agricoles, peuvent jouer un rôle crucial pour la sécurité alimentaire et le changement climatique. Depuis sa création en 2015 de nombreuses universités au sein d’Allenvi ont participé au projet : de l’Université de Poitiers à l’Université de Lorraine en passant par l’Université de Montpellier.
Le rêve d’une planète en symbiose avec ses habitants
C’est le rêve un peu fou qu’ont fait en premier, en 2014, des chercheurs de l’INRAE en proposant un calcul simple à l’échelle de la terre. A cette époque, chaque année, les activités humaines (tous secteurs confondus : énergie, transports, industrie, agriculture, déforestation, etc.) relâchaient dans l’atmosphère près de 9,8 Gigatonnes de carbone et les formations végétales naturelles et les océans étaient capables d’en réabsorber à peine plus de la moitié (5,5 Gt), laissant une flux net annuel de 4,3 Gt de carbone supplémentaires dans l’atmosphère. Sachant que les sols de la planète contiennent environ 1000 Gt de carbone dans les premiers 40 cm, ils se sont demandé de quel pourcentage faudrait-il accroître cette quantité de carbone des sols chaque année, pour « compenser » les 4,3 Gt résultant des activités humaines ? La réponse est de 0,4% par an, soit « 4 pour 1000 », d’où le nom de l’Initiative née en 2015 à la COP 21 sous l’impulsion de la France.
160 partenaires (pays, organisations internationales, institutions scientifiques, groupements de producteurs, ONG, entreprises, etc.) ont accompagné la naissance de l’Initiative « 4 pour 1000 : les sols pour la Sécurité alimentaire et le Climat » à la COP 21 à Paris en décembre 2015. Mi-2020, ils sont près de 500 à partager la Vision 2050 de l’Initiative : « Partout dans le monde, des sols sains et riches en carbone pour lutter contre le changement climatique et mettre un terme à la faim ».
Du rêve à la réalité
Pour parvenir à ce résultat enthousiasmant, il faudra cependant changer en profondeur nos modes de production agricole, car c’est grâce à l’adoption de pratiques agricoles agro-écologiques (agriculture de conservation, agriculture biologique, agriculture régénérative, agroforesterie, etc.), que l’on rétablira la santé de nos sols, et qu’on réussira à y stocker du carbone en quantité significative. Les scientifiques du monde entier travaillant sur les sols sont unanimes à dire que c’est possible, mais que ce ne sera pas facile, notamment à cause du côté réversible de ce stockage du carbone qui peut facilement être libéré en cas d’arrêt des bonnes pratiques.
L’évolution « agro-écologique » des agricultures du monde permettrait, grâce à la séquestration du carbone dans les sols, de rendre les sols agricoles plus résilients, plus fertiles donc demandant moins d’intrants minéraux et chimiques, soit plus sains et productifs en aliments nutritifs et de qualité, sans menacer, la sécurité alimentaire mondiale par un maintient voire une amélioration des rendements. En luttant parallèlement contre le gaspillage agricole et alimentaire, cela permettrait de nourrir une humanité en croissance raisonnable à échéance 2050, tout en redonnant des espaces à reconquérir à nos forêts naturelles sur le déclin dans beaucoup de régions du monde. Sans parler du fait que la santé des sols est la base indispensable de la santé des végétaux et des animaux qui conditionne la santé des hommes, d’où le concept de « Une santé » (One Health).
Un défi de taille pour la science mais pas seulement…
Pour parvenir à de tels résultats à l’échelle de la planète, de nombreux défis doivent être relevés, en particulier par le monde scientifique :
- Poursuivre la compréhension des mécanismes profonds du stockage du carbone dans les sols, dans toutes les conditions de sol et de climat pour aider les agriculteurs à appliquer les bonnes pratiques ;
- Suivre, mesurer, et évaluer scientifiquement la réalité du stockage du carbone dans les sols pour justifier les mécanismes de compensation sur le marché du carbone, et pour la rémunération par la société des services environnementaux rendus par les agriculteurs et forestiers ;
- Mettre en place un observatoire mondial de la santé des sols et du stockage du carbone dans les sols pour ajuster les pratiques et mesurer l’impact des décisions sur l’usage des terres.
Bien que la majorité des scientifiques considèrent que « 4 pour 1000 » soit un slogan efficace qui met le potentiel d’atténuation du carbone du sol à l’agenda international, d’autres pensent que la séquestration du carbone organique du sol est un vrai problème et que la mise en œuvre des actions « 4 pour 1000 » représente un défi majeur pour les agriculteurs.
De nombreux scientifiques de l’INRAE, du Cirad, et de l’Ird sont impliqués à différents niveaux de l’Initiative « 4 pour 1000 », ce qui laisse néanmoins encore beaucoup de place pour d’autres membres d’AllEnvi, à commencer par les universités et le CNRS dont les travaux sont en lien avec les problématiques de la santé des sols et du stockage du carbone dans ces mêmes sols.
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