L’appel de 70 présidents d’établissements d’enseignement supérieur : « Les universités ne doivent pas être instrumentalisées à des fins politiques »
Tribune publiée dans Le Monde, le 25 avril 2024.
Dans le contexte de la recrudescence d’actes et de paroles antisémites, pas un jour ne passe sans que les universités ne soient montrées du doigt, accusées tantôt de laxisme, tantôt de censure, sans que jamais ou presque on ne regarde la situation comme elle doit l’être, au regard du droit dans un pays démocratique.
S’agissant d’un prétendu laxisme, ainsi que France Universités l’a récemment rappelé, affirmer que les universités ne combattent pas l’antisémitisme relève de la propagande. C’est un mensonge que de dire que les présidentes et présidents d’établissements d’enseignement supérieur sont dans le déni quant à ce fléau qui constitue d’abord un délit. Ils ont à leur disposition plusieurs outils, dont ils ne manquent pas de se saisir : le signalement au procureur de la République via l’article 40 du code de procédure pénale, le dépôt de plainte, ainsi que le recours à des mesures disciplinaires. Contrairement à ce qu’avancent certains dont la connaissance de la chose universitaire semble très restreinte et qui devraient eux-mêmes signaler au procureur de la République les dossiers qu’ils prétendent détenir, les présidentes et présidents d’universités pratiquent la tolérance zéro face aux violences et aux discriminations, de quelque nature qu’elles soient.
L’université est indépendante de toute emprise
S’agissant d’une prétendue censure, les accusations sont tout aussi fausses. Elles sont abjectes dès lors qu’un président est comparé à un collaborateur du régime nazi. Force est de constater qu’aujourd’hui, la polémique est reine dans nos sociétés, et que les lieux et contextes de débat éclairé sont de plus en plus rares. Cette évolution désastreuse, dont la dynamique semble malheureusement s’aggraver, est très préoccupante en démocratie puisque, par essence, le débat contradictoire en constitue l’un des fondements. Or, l’université, qui accueille chaque année des milliers de conférences publiques et colloques scientifiques, est l’une des rares institutions à offrir un tel cadre d’échanges et de discussions. Rappelons que le code de l’éducation dispose que « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique », qu’« il tend à l’objectivité du savoir » et qu’il « respecte la diversité des opinions ». Il doit également « garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ». Et c’est peut-être précisément en raison de ces prérogatives que l’université est attaquée par celles ou ceux dont la pensée se réduit à la provocation et à l’outrance.
Tout débat doit pouvoir se tenir dans des conditions de sérénité, d’information éclairée, mais également de sécurité des personnes présentes. Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, chaque présidente et président d’université peut légitimement décider d’annuler ou de reporter un événement. C’est toujours à regret. Mais pas plus que dans le reste de la société, la violence, sous aucune forme que ce soit, n’a sa place sur un campus ou dans un amphi. Pour le dire autrement, faire vivre le débat suppose qu’il soit protégé. À charge, pour les organisateurs de tels débats, d’apprendre à les maîtriser et de ne pas jeter l’anathème sur d’éventuels contradicteurs en tirant prétexte de leur religion, de leur culture ou de leur origine, réelle ou supposée. Il est de la responsabilité des présidentes et des présidents de veiller à ce que de telles conditions soient respectées.
Exercer pleinement cette responsabilité implique d’en avoir les moyens. Or, l’université française doit aujourd’hui se battre pour son autonomie, qui doit être préservée et même confortée. Et si les décisions des présidentes et présidents peuvent être contestées devant les juridictions administratives, elles n’ont en revanche pas à leur être dictées.
L’université a aujourd’hui précisément besoin de se voir renforcée et soutenue, en tant qu’institution, pour être plus efficace dans l’accomplissement des rôles qui sont les siens, pour la jeunesse, pour la science et pour l’innovation. Lieux de formation, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche sont aussi, et inséparablement, des lieux de construction et d’expression de la pensée critique. Ils sont à ce titre des bastions démocratiques et ils entendent le rester. Il y va également de l’image de la France dans le monde.