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[Expérience] Projets ESA ‘Giant Fluctuations’ et MAP TechNES : entre recherche et transfert de technologie

France Universités : date de publication

    Le Laboratoire des Fluides Complexes et leurs Réservoirs (LFCR) de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA) est impliqué dans plusieurs mesures en apesanteur dont deux à bord de l’ISS dans le but de mieux comprendre le comportement des fluides. Éclairage par Fabrizio Croccolo, enseignant-chercheur au Laboratoire des fluides complexes et leurs réservoirs, directeur de la Chaire Industrielle CO2ES et Co-directeur du projet ESA NEUF-DIX ‘Giant Fluctuations’.

    Les fluctuations de non-équilibre comme un microscope pour regarder les fluides

    Le comportement d’un fluide à l’échelle microscopique est très chaotique, les molécules courent partout en se cognant sans cesse donnant lieu au mouvement brownien. Au niveau mésoscopique, voir macroscopique, on s’attend à un comportement plus calme et homogène, mais cela ce n’est pas le cas.

    Lorsqu’un fluide est à l’équilibre et loin d’un point critique, des fluctuations de la densité existent à toute échelle avec la même intensité déterminant ce qu’on appelle un ‘bruit blanc’. Quand le fluide est soumis à un stress, comme un gradient de température, des fluctuations de plus grandes tailles sont fortement amplifiées, jusqu’à un million de fois[1].

    Seulement, la pesanteur limite les fluctuations plus efficacement que la diffusion, pour des tailles supérieures à une taille critique[2]. La gravité impacte également la dynamique des fluctuations, accélérant les fluctuations plus grandes[3].

    Étudier les fluctuations ne se résume pas à mesurer les quantités prévues par la théorie, il s’agit surtout de regarder directement un fluide comme dans un microscope, de détecter les différents phénomènes qui ont lieu et de mesurer ses propriétés de transport. En 2012, le Laboratoire des Fluides Complexes et leurs Réservoirs a démontré qu’il était possible de mesurer les coefficients de diffusion de masse et Soret par une seule mesure d’ombroscopie dynamique des fluctuations de concentration[4]. Les années suivantes, l’effet du confinement sur les fluctuations de plus grande taille[5] et le couplage entre différents modes donnant lieu à des modes propageant dans des mélanges binaires (deux liquides)[6] ou ternaire (trois liquides)[7] ont été observés.

    Fig. 1 Le montage optique d’ombroscopie dynamique bi-couleurs qui est développé au LFCR et qui sera embarqué sur l’ISS pour la série d’expériences Giant Fluctuations.

    Des mesures en apesanteurs

    La pesanteur limitant les fluctuations de plus grandes tailles, une première expérience pour tester comment se comportent les fluctuations en apesanteur a été effectué en 2007 sur le satellite russe FOTON-M3[8]. Cette expérience a confirmé que l’amplitude des fluctuations en microgravité peut atteindre un milliard de fois la valeur des fluctuations à l’équilibre et que le seul facteur limitant devient le confinement du au contenant du fluide.

    Pour mieux comprendre les mélanges ternaires, nous avons participé à l’expérience Diffusion Coefficient Measurements in ternary MIXtures (DCMIX) à l’occasion de son quatrième vol[9] sur l’ISS entre décembre 2018 et mars 2019. Dans ce cas, un mélange de trois liquides fut soumis à un gradient thermique et observé par interférométrie laser bi-couleur perpendiculairement au gradient thermique. Dans cette expérience, nous avons pu étudier un mélange à base de polystyrène, toluène et cyclohexane, échantillon modèle pour les fluides ternaires, donnant lieu à des cinétiques très bien séparées.

    Des nouveaux défis

    Après le succès de ces vols en apesanteur, nous avons proposé à l’ESA une nouvelle série de mesures à effectuer sur des mélanges liquides complexes. Cette fois, nous avons choisi de viser très haut en termes d’innovation.

    Les expériences que nous envisageons ciblent de conditions limites où les théories actuelles ne sont pas capables de fournir des prédictions. Nous allons tester des conditions de forts gradients, comme des densités de particules très élevées, proche de conditions de transitions vitreuses. Nous étudierons également les forces de Casimir de non-équilibre ou les phénomènes transitoires. D’autre part, nous allons tester des fluides ternaires contenant de particules colloïdales, ou des polymères ou encore des médicaments protéiques.

    Une équipe de recherche internationale participe au projet Giant Fluctuations[10] coordonnée par le LFCR de l’UPPA en France et l’Università degli Studi di Milano (UniMi) en Italie et nos expériences de laboratoire sont développées grâce au soutien du CNES.

    Ce partenariat scientifique comprend des groupes de recherche de l’Université de Bayreuth (DE) et de l’Université Complutense de Madrid (ES) et des partenaires ‘externes’ aux Etats Unis, en Chine et en Allemagne avec la société NanoTemper Technologies de Munich. Ces études seront accompagnées par un projet de transfert technologique associé MAP Technologies for Non-Equilibrium Systems (TechNES) coordonnée par UniMi.

    Fig. 2 Le logo du projet de transfert technologique TechNES associé au projet scientifique Giant Fluctuations.

    Les recherches fondamentales en physique que nous menons sur différentes plateformes spatiales depuis une vingtaine d’années trouvent enfin des applications pratiques que nous verrons à moyen terme dans la vie de tous les jours. Des résultats de ce type ne sont possibles que grâce au financement public de la recherche et de la coopération internationale et l’Europe a la capacité de contribuer de manière significative à l’amélioration de la qualité de vie de tous.

     

    [1] F. Croccolo et al. EPJE, 39 125 (2016)

    [2] A. Vailati et al. Nature, 390 262 (1997)

    [3] F. Croccolo et al. App. Opt., 45 2166 (2006)

    [4] F. Croccolo et al. J. Chem. Phys, 137 234202 (2012)

    [5] C. Giraudet et al., Eur. Phys. Lett. 111 60013 (2015)

    [6] F. Croccolo et al. Phys. Rev. E, 99 012602 (2019)

    [7] L.G. Fernandez et al. EPJE, 42 124 (2019)

    [8] A. Vailati et al. Nature Comm., 2 290 (2011); F. Croccolo et al. Microgravity Sci. and Technol., 28 467 (2016)

    [9] A. Mialdun et al. EPJE, 42 87 (2019)

    [10] P. Baaske et al. EPJE, 39 119 (2016); A. Vailati et al. Microgravity Sci. and Technol., 32 873 (2020)

     

    Pour aller plus loin :

    ‘In search of stable liquids’ http://www.esa.int/Science_Exploration/Human_and_Robotic_Exploration/In_search_of_stable_liquids

    ‘Fluid mixtures. We research. You benefit.’ https://www.esa.int/ESA_Multimedia/Videos/2020/04/Fluid_mixtures._We_research._You_benefit

    Baaske, et al. The NEUF-DIX space project – Non-EquilibriUm Fluctuations during DIffusion in compleX liquids, Eur. Phys. J. E 39, 119 (2016) – https://doi.org/10.1140/epje/i2016-16119-1

    Vailati, et al., Giant Fluctuations induced by thermal diffusion in complex fluids, Microgravity Sci. and Technol. 32, 873 (2020) – https://doi.org/10.1007/s12217-020-09815-x

    Mialdun, et al., Preliminary analysis of Diffusion Coefficient Measurements in ternary mIXtures 4 (DCMIX4) experiment on-board the International Space Station, Eur. Phys. J. E 42, 87 (2019)

    Mialdun, et al., Data quality assessment of Diffusion Coefficient Measurements in ternary miXtures 4 (DCMIX) experiment, Acta Astronautica 176, 204 (2020)

    Braibanti, et al., European Space Agency experiments on thermodiffusion of fluid mixtures in space, Eur. Phys. J. E 42, 86 (2019)

     

    Lire L’instant Recherche n°19 – Ces universités qui embarquent sur la Station Spatiale Internationale

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