L’avenir de l’initiative « universités européennes ». Les propositions de la CPU
Les résultats du second volet de l’appel pilote « universités européennes » confirment la mobilisation des établissements d’enseignement supérieur français et l’excellente qualité des candidatures déposées dans le cadre de cette initiative. A l’issue des deux phases, la France, avec 32 membres au sein des 41 alliances, se situe en effet au tout premier plan parmi les pays de l’Union européenne.
Dans l’intervalle séparant le lancement officiel des 17 premières alliances en novembre 2019 et la publication des résultats de la seconde vague, la CPU a mis en place un groupe de travail réunissant des représentants des établissements déjà labellisés et des établissements ayant déposé ou redéposé leur candidature au second tour, de façon à partager les bonnes pratiques en émergence ainsi que les réflexions sur les obstacles stratégiques, juridiques, scientifiques ou pédagogiques apparus au sein des alliances en voie de construction. Depuis janvier 2020, ce groupe de travail s’est réuni à quatre reprises, rassemblant à chaque fois entre quarante et cinquante universités.
Dans le même temps, la CPU a participé à Bruxelles à des groupes de travail réunissant des parties prenantes sous l’égide de la DG EAC ou de la DG RTD ; elle a organisé des événements de réseautage avec d’autres conférences de présidents européennes, consulté certains de ses homologues, allemands ou polonais notamment (HRK et KRASP), et a contribué aux réflexions menées au sein de l’EUA sur l’avenir des universités européennes.
En mai, juin 2020, un questionnaire a été adressé aux établissements représentés au sein du groupe de travail universités européennes de la CPU. Sur la base des réponses obtenues, la CPU présente aujourd’hui les premiers constats qu’elle tire de cette consultation et formule un certain nombre de préconisations destinées à favoriser la poursuite de l’initiative « universités européennes ».
- Du prototypage à sa reproduction
Dans leur très grande majorité, les universités se prononcent en faveur de nouvelles labellisations, sous peine de voir se constituer un « club select » de « happy few ». Une « évaluation rigoureuse de la phase-pilote », permettant d’identifier les bonnes pratiques, mais aussi de tenir compte des expérimentations qui ont échoué (qualifiées de « fausses bonnes idées » par un établissement), ainsi que les actions complémentaires destinées à renforcer les alliances labellisées apparaît toutefois comme un préalable indispensable à la poursuite du processus.
Les universités sont en revanche plus partagées concernant le recours par la suite à de nouveaux appels à projets. Pour les unes, ceux-ci permettraient de porter des « demandes de financements concertés, à l’échelle de l’alliance », par exemple « tous les deux ans ». Pour les autres, la poursuite et la pérennisation du projet doivent être conditionnées à l’obtention de résultats.
Enfin, si le retour d’expérience de la phase pilote est susceptible de déboucher sur la construction d’alliances positionnées sur des thématiques spécifiques et plus « différentiantes », la possibilité donnée aux alliances déjà constituées d’intégrer de nouveaux membres apparaît comme une alternative possible, sans pour autant être exclusive de l’autre solution.
Proposition n°1 :
La CPU se réjouit des bons résultats obtenus par les universités françaises à l’issue de la seconde phase de l’appel à projet pilote « universités européennes ». Avec 32 établissements membres des 41 alliances désormais labellisées, la France est aux côtés de l’Allemagne le premier pays de l’UE en termes de représentation. Au-delà, la CPU salue la dimension toujours plus inclusive des alliances, gages de cohésion et de souveraineté, à un moment où l’Europe a plus que jamais besoin de ces deux valeurs.
La CPU appelle en conséquence à poursuivre l’initiative « universités européennes » au-delà de la phase de prototypage, afin de maintenir la dynamique collective enclenchée. Les alliances ayant fait l’objet d’une évaluation rigoureuse menée par un jury international, il n’est pas opportun, et il serait même contre-productif, de procéder à une hiérarchisation par le biais d’un processus de type initiative d’excellence.
A ce titre, la CPU demande que les recommandations qui seront formulées au terme des 3 premières années permettent de préserver la diversité des modèles de structuration institutionnelle, d’intégration géographique et de programmation d’actions communes, tout en veillant, le cas échéant, à ce que tous les établissements d’un même réseau soient bien en mesure d’accompagner la trajectoire d’ensemble.
- Le continuum recherche / innovation / formation
Si de nombreuses contributions mettent en exergue l’opportunité, grâce aux universités européennes, de conduire des expérimentations ciblées, par exemple en ce qui concerne la naissance de véritables laboratoires européens de recherche ou la création de postes pour des « professeurs européens », d’autres mettent plutôt l’accent sur le renforcement d’objectifs de longue date, tels que la création d’un diplôme européen ou la nécessaire évolution du Processus de Bologne afin de mettre en place « des portefeuilles de compétences, des micro-crédits, une mobilité qui aille bien au-delà du fait d’aller faire le même type de cours dans une université partenaire ».
Le lien des différents membres d’une alliance avec leur territoire d’ancrage est également souligné, dans le but de favoriser le développement de « campus transnationaux intégrés », reposant sur l’«interconnexion» des écosystèmes de recherche et d’innovation. A cet égard, selon une université, tout projet de diplôme conjoint porté par une même alliance devrait viser en priorité au développement de nouvelles compétences, et partant à la reconnaissance de l’employabilité des étudiants sur le marché du travail européen : « l’obtention de diplômes européens (existants et déjà reconnus par le monde du travail) peut donner une vraie valeur ajoutée au curriculum et aux compétences (au sens large) d’un.e étudiant.e ».
Proposition n°2 :
Alors que divers programmes européens pour la période 2021-2027 visent à renforcer la cohésion et la diversité territoriales, la CPU, dans la continuité de son projet « Territorial Connections », recommande de s’appuyer sur les universités européennes pour développer l’interconnexion des écosystèmes d’innovation et de recherche, par exemple à travers le partage d’objectifs liés aux stratégies de spécialisation intelligente propres à chacune des régions.
Elle propose en outre que les universités européennes contribuent au renforcement des capacités de recherche, d’innovation et de formation des écosystèmes européens par la mise en œuvre à l’échelle d’une même alliance du modèle du « pôle universitaire d’innovation » (PUI) inscrit dans la future Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR), ou à travers le partage de leurs données de recherche via l’infrastructure européenne EOSC.
Enfin, dans le contexte spécifique de la mise en œuvre des plans de relance français et européen, elle préconise que les alliances forment les chercheurs et enseignants-chercheurs aux enjeux territoriaux de la recherche et de son impact, et prennent toute leur part dans la rénovation et le déploiement de l’agenda européen des compétences, par exemple via le dispositif français du campus des métiers et des qualifications.
- Capacités de financement et statut juridique
Plusieurs établissements soulignent que la crise sanitaire a accéléré la « dynamique […] numérique actuellement au cœur des stratégies des universités européennes », et appellent en conséquence à intensifier les financements consacrés à la mobilité (particulièrement la mobilité hybride), ainsi qu’aux infrastructures numériques, certains faisant valoir que « le niveau européen permet une rationalisation des coûts ».
De manière générale, si la plupart des universités s’accordent pour souhaiter des financements complémentaires spécifiquement dédiés aux alliances, d’autres justifient le maintien sur une durée pluriannuelle des crédits déjà octroyés de façon à ne pas fragiliser les autres partenariats dans lesquels elles se sont engagées (un argument également souligné par l’EUA). De façon plus prospective, l’un des établissements demande plutôt à disposer d’une « feuille de route [roadmap] possible de la continuation des financements des alliances européennes », tandis qu’un autre voit surtout dans celles-ci un accélérateur de transformations devant conduire à la création d’objets nouveaux (par exemple un diplôme européen) qui ensuite pourront bénéficier de financements ad hoc.
Dans plusieurs réponses, la question des financements est corrélée à celle du futur statut juridique des universités européennes. Divers établissements soulignent ainsi que le GECT (Groupement Européen de Coopération Territoriale) permet d’émarger à « différents fonds (fonds propres des établissements, autres actions clés du programme Erasmus +, Horizon Europe, FEDER, compléments nationaux, etc.) », tandis que l’AISBL (Association Internationale à But Non Lucratif), propre au droit belge et luxembourgeois, offre la possibilité de répondre à des appels à projets de la Commission.
De manière générale, le choix d’instruments européens semble privilégié par les alliances pour leur futur statut juridique, notamment afin de pouvoir intégrer le statut national propre de certains établissements membres. A contrario, l’un des établissements témoigne de son souhait de ne pas créer de « structure fédérative supra-organisationnelle qui viendrait par-dessus les établissements, avec un pouvoir décisionnel ».
Proposition n°3
La CPU demande que les 41 universités européennes sélectionnées à l’issue des deux phases du projet pilote disposent des ressources suffisantes pour réaliser leurs ambitions communes en recherche et innovation comme en formation, et se développer conformément à leur trajectoire à long terme.
Elle souhaite que les alliances non seulement obtiennent des garanties de maintien de leurs crédits sur toute la durée du prochain cadre financier pluri-annuel (2021-2027), notamment via Horizon Europe et Erasmus +, mais se voient également offrir les moyens, y compris juridiques, de candidater à d’autres programmes tels que Digital Europe afin de développer l’intégration du numérique dans leurs projets de diplômes européens ou Creative Europe dans le but de promouvoir et soutenir la diversité linguistique et culturelle.
La CPU recommande également que sur la même période l’Etat français continue d’apporter à l’ensemble des établissements français engagés dans l’une des 41 alliances un complément de financement, selon des règles identiques à celles actuellement en vigueur.
Elle préconise enfin que l’ensemble des Etats européens partie prenante de l’initiative « universités européennes » mettent en œuvre des dispositions similaires en faveur de leurs établissements respectifs, de façon à promouvoir des règles du jeu équitables.
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