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[Covd19] "La gestion de la prise en charge des patients doit respecter les principes éthiques"

France Universités : date de publication

    La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a fait émerger, en France et dans le monde, de enjeux politiques, économiques et surtout médicaux. Derrière les premières problématiques (impact du confinement, développement de pistes thérapeutiques,…) la question de la prise en charge des patients par les hôpitaux est aujourd’hui devenue centrale et pose une vraie question éthique. Quels grands principes s’appliquent en période d’urgence sanitaire ? Quels sont les possibles dérives ? Guillaume Durand, philosophe, spécialiste d’éthique médicale et de bioéthique à l’Université de Nantes, apporte son point de vue et son expertise sur la situation actuelle.

    Prise en charge médicale

    La crise sanitaire que nous traversons questionne plusieurs problématiques médicales, notamment la prise en charge des patients. Comment se place la question de l’éthique dans tout cela ?

    L’égalité des droits est l’un des principes fondamentaux de notre démocratie. En médecine, cela signifie une stricte égalité de toutes et de tous dans l’accès au soin. Mais dans un contexte de pandémie comme nous traversons aujourd’hui, les problématiques liées au manque de ressources, à la gestion de l’afflux de patients dans les établissements de santé posent de vraies questions éthiques. Face à cette crise, le principe d’équité doit venir pondérer ce principe de stricte égalité. Cela pose deux questions majeures : selon quels critères et sur quels principes répartir, de manière inégale, les ressources trop peu nombreuses pour nous tous ? A quelles conditions une inégalité peut-elle être juste ?

    Comment peut-on appliquer une égalité de soin en période de pandémie ? Quel principe « éthique » s’applique ?

    Il existe un principe de base en médecine qui est celui « d’utilité médicale ». Derrière ce principe, cela signifie donner les ressources rares en priorité à ceux qui en ont le plus besoin ou pour qui un traitement aura la plus forte chance de fonctionner. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’âge n’est pas à lui seul un critère suffisant. Un patient de 65-70 ans peut avoir plus de chances de survie qu’une personne de 40 ans ou même de 20 ans qui a d’autres facteurs de fragilité (antécédents cardiovasculaires, traitements pour le cancer,…). Ce principe d’utilité médicale relève de l’expertise médicale mais il mérite d’être fortement encadré sur le plan éthique afin d’éviter certaines dérives, notamment certaines discriminations dans la prise en charge des patients.

    Justement, la « discrimination sociale » n’est-elle pas finalement une des principales dérives possibles de cette crise sanitaire ?

    Oui. Il existe aujourd’hui un autre principe, qui est celui de « l’utilité sociale ». C’est ce principe qui permet notamment de justifier, mais aussi de manière légitime, qu’on privilégie l’attribution de certaines ressources aux personnels soignants (masques,…), car leur métier est de sauver des vies. Mais ce principe « d’utilité sociale », s’il est mal interprété, peut représenter un vrai danger. Il peut être compris comme : « parmi les patients qui ont une meilleure chance de guérir, quels sont ceux qui sont les plus utiles à notre société ? » Il faut donc veiller à ne pas étendre ce principe si on veut éviter l’arbitraire (un plombier est-il moins utile qu’un professeur ?), les discriminations (âge, sexe, origines ethniques,…) et la guerre civile.

    Quels sont aujourd’hui les moyens d’actions permettant d’encadrer de manière « éthique » la prise en charge médicale en cas de pandémie ?

    Nous sommes aujourd’hui dans un contexte d’urgence dans lequel tout est fait pour éviter le plus possible d’avoir à décider de l’indécidable (renforcement des équipes médicales dans les régions les plus touchées, transferts de patients, actions de solidarité des entreprises, des citoyens dans le renouvellement de matériels,…). Nous avons en France des équipes médicales et soignantes expertes en leurs domaines et qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles. A la demande du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui a recommandé le 13 mars 2020 la constitution de « cellules éthiques de soutien », des équipes locales d’éthiciens se sont formées dans la plupart des hôpitaux afin de soutenir ces équipes et de leur proposer un éclairage éthique sur des situations qui leur posent question dans le contexte de la pandémie au COVID-19.

    Cet éclairage strictement éthique et non médical repose sur une méthodologie adoptée dans les Consultations d’éthique Clinique (Hôpital mutualiste Jules Verne, CHU de Nantes, CHU d’Angers, CHU Cochin Port-Royal à Paris, etc.). Les membres de cette permanence sont des médecins et des non-soignants (philosophe, juriste). Guillaume Durand coordonne celle de la Cité Sanitaire à Saint-Nazaire, en partenariat avec l’Hôpital Mutualiste Jules Verne à Nantes et en lien avec l’Espace Ethique Régional des Pays de la Loire et le CCNE.

    Lire l’article sur le site de l’université de Nantes

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